En manque : Le mal d'aimer
Scène

En manque : Le mal d’aimer

Un an après s’être attaquée à Blasted, STACEY CHRISTODOULOU récidive, et met en scène une seconde pièce de Sarah Kane, En manque. Un univers moins dur, mais toujours aussi glauque.

Quatre années après sa mort, l’oeuvre de Sarah Kane semble faire l’objet d’un engouement croissant. Un intérêt qui a même fini par atteindre notre contrée, généralement peu encline aux univers extrêmes. Difficile de dire si le destin d’artiste maudite de feu la jeune Anglaise est pour quelque chose dans cette noire attraction. Le parfum de soufre, de souffrance et de tragédie qui entoure Sarah Kane ajoute en tout cas une aura mythique à cette auteure qui s’est suicidée à 28 ans.

C’est à Stacey Christodoulou qu’est revenue la tâche de présenter ici l’univers douloureux de la dramaturge. Un an après avoir dirigé la première pièce de la dramaturge, la metteure en scène s’y recolle courageusement. Présenté au MAI (Montréal Arts Interculturels), En manque est certes plus facile à avaler que le sordide et violent Blasted, et se termine même, dans la production de The Other Theatre, presque dans la ouate. Mais on y respire toujours une atmosphère glauque, exhalée par des êtres désespérés. Une partition qui évoque la perte, la douleur, l’inceste, le viol, la violence conjugale, la solitude, le suicide… Et l’amour, qui est à la fois rédempteur et destructeur. En manque est un cri d’amour et de manque d’amour, de besoins inassouvis. L’ombre de la dépression plane tangiblement sur cet univers désenchanté.

L’écriture crue de Sarah Kane se révèle ici particulièrement nue. Dégagée du carcan d’un récit réaliste, En manque entrecroise quatre voix isolées, en parallèle. On y entend une femme (Christiane Proulx) réclamer un enfant à un homme (Michel Mongeau) qui noie son spleen dans la bouteille. Un jeune homme (Philippe Ducros, qui a aussi traduit la pièce) inscrit sur le mur "parce que l’amour a pas de futur". Une jeune femme (Mylène Fortin) dépressive, tentée par le suicide, semble faire écho au désespoir de Sarah Kane elle-même. Lui et elle pourraient parfois former un couple.

Mais les trames narratives sont fugaces, les relations entre les personnages, elliptiques dans le texte, même si Christodoulou tente de dessiner des rapprochements entre les personnages, qui semblent parfois se répondre, parfois composer des duos qui se dissolvent bientôt. On y perd peut-être un peu la solitude fondamentale et la nature universelle de ces voix. Christiane Proulx nous y fait en tout cas regretter la rareté de ses présences scéniques, et Michel Mongeau rend bien le désabusement de la pièce. Philippe Ducros et Mylène Fortin font appel à un jeu un peu plus psychologique.

Le spectacle dessine par contre un parcours scénographique (signé David Vivian) intéressant. Pour accéder à l’aire sombre que public et comédiens partagent, le spectateur doit passer à travers un couloir placardé de panneaux de bois, où sont griffonnées plusieurs phrases. Un environnement underground qui fait écho à la dimension "no future" de la pièce.

La finale de la pièce, confidentielle, presque chuchotée, ne manque pas de douceur. Et pourtant, malgré la puissance tragique des thèmes abordés, En manque n’a jamais réussi vraiment à me toucher. On a l’impression que ce théâtre n’a pas encore donné sa pleine force de frappe sous la direction appliquée de Stacey Christodoulou, qui fait ici un travail de pionnière quant à la mise en scène de l’auteure britannique.

On n’a néanmoins pas fini d’entendre parler de Sarah Kane, cette année. À la fin mai, on pourra voir son Purifiés (Cleansed) au Festival de Théâtre des Amériques, dans une mise en scène du Polonais Krzysztof Warlikowski, une occasion de découvrir un autre point de vue sur cette auteure. Peut-être comprendrons-nous enfin pourquoi elle fascine autant.

Jusqu’au 3 mai
Au MAI