Provincetown Playhouse : Maison des horreurs
Scène

Provincetown Playhouse : Maison des horreurs

Provincetown Playhouse, juillet 1919, j’avais 19 ans travestie en thriller de série B? Il fallait l’audacieuse exploratrice Carole Nadeau pour y songer. Il est vrai que la brillante pièce de Normand Chaurette recèle de nombreux ingrédients susceptibles de nourrir cette étrange transformation: un meurtre horrible, un suspense, les thèmes du double, de la folie, de la culpabilité, de l’illusion théâtrale, des jeux de miroirs et de correspondances.

Provincetown Playhouse, juillet 1919, j’avais 20 ans

travestie en thriller de série B? Il fallait l’audacieuse exploratrice Carole Nadeau pour y songer. Il est vrai que la brillante pièce de Normand Chaurette recèle de nombreux ingrédients susceptibles de nourrir cette étrange transformation: un meurtre horrible, un suspense, les thèmes du double, de la folie, de la culpabilité, de l’illusion théâtrale, des jeux de miroirs et de correspondances.

Enfermé dans une clinique psychiatrique, dont le spectacle rend ici la réalité concrète avec infirmière et bruits ambiants à l’appui, Charles Charles 38 (Martin Bélanger) est visité par son double schizophrénique, qui lui rappelle les événements, survenus 19 ans plus tôt, qui ont mené à son internement. Charles Charles 19 (Christian Brisson Dargis), son amant Winslow (François Marquis) et leur ami Alvan (Steeve Dumais) avaient sacrifié un enfant lors de la représentation tragique du Théâtre de l’Immolation de la beauté.

La huitième production du Pont Bridge, intéressante petite compagnie qui aime titiller nos sens, nous invite à une insolite traversée du miroir. Carole Nadeau morcèle la pièce savamment construite en 19 tableaux, et par un ingénieux jeu de miroirs, les personnages du passé apparaissent derrière une glace, sur laquelle est parfois superposé un visage diabolique déformé. Dans un magma chaotique d’images, le spectacle donne corps aux visions torturées que forme l’esprit malade de Charles Charles 38.

Cris aigus, jeux de reflets et d’ombres, projections sinistres, plongées soudaines dans l’obscurité, distorsion visuelle et sonore: le spectacle utilise toute la panoplie des films d’horreur de série B. Éric Forget campe une créature grimaçante, à la voix caverneuse et ralentie, réussie dans le genre, bien que plutôt agaçante. L’utilisation de l’espace et l’astucieux dispositif scénographique comptent parmi les éléments les plus intéressants du spectacle.

L’ennui, c’est que certains effets paraissent outrés ou maladroits, comme dans une maison des horreurs un peu artisanale. Si quelques scènes jouent visiblement sur un humour tordu (les étonnants condamnés qui chantent Unforgettable, la corde au cou…), d’autres nous laissent dans l’incertitude… Le spectacle serait sans doute plus prenant s’il était servi par des interprètes plus convaincants.

Carole Nadeau a surtout réussi l’atmosphère, nourrie par des chansons jazz d’époque. Son Provincetown a la consistance d’un cauchemar expressionniste, aux confins du grotesque et de l’épouvante. La créatrice s’est glissée dans les interstices du texte de Chaurette pour en suggérer une tout autre vision, \à mille lieues des mises en scène d’une Alice Ronfard ou d’un Denis Marleau. Le résultat, tout imparfait soit-il, n’a rien de banal…

Jusqu’au 26 avril
Au Hors-Bord