Jean Asselin : Joindre le geste à la parole
Le Silence , c’est généralement l’apanage de la troupe de mime Omnibus. Cette fois, la compagnie dirigée par JEAN ASSELIN se mesure plutôt aux mots de Nathalie Sarraute. Le metteur en scène nous parle de cette intrigante affinité entre la grande dame du nouveau roman et les artistes du mouvement.
C’est une femme de parole et lui, un homme de gestes. La rencontre qui aura lieu à l’Espace libre entre l’écrivaine française Nathalie Sarraute (1900-1999) et le metteur en scène et cofondateur d’Omnibus, Jean Asselin, intrigue. Qu’est-ce qui peut bien pousser un homme qui se consacre depuis plus de 30 ans au mime à s’attaquer à un théâtre du langage, dont les mots produisent à eux seuls toute l’action? Attablé dans une salle de répétition, Jean Asselin en a long à raconter sur l’oeuvre de cette grande dame dont il se sent si proche.
Avant d’être séduit par Le Silence, la première incursion théâtrale de Sarraute, Jean Asselin a lu tous ses romans, publiés dans la prestigieuse collection La Pléiade. "Un jour, je me suis dit: wow, c’est nous, ça! s’exclame-t-il avec un grand sourire. Il y a une belle parenté entre le mime et l’écriture sarrautienne. Pourtant, les gens disent toujours que le théâtre de Sarraute est désincarné, encore plus que celui de Beckett.
Elle-même le disait… mais ce n’est pas vrai! Son théâtre est une affaire de sensations et rien ne peut mieux exprimer les sensations que le corps."
Nathalie Sarraute est considérée comme l’un des grands écrivains du 20e siècle. En 1932, cette Française d’origine russe amorce les premiers textes de ses Tropismes, publiés en 1939, et dès lors se consacre entièrement à l’écriture, oeuvrant dans une incompréhension presque totale durant 25 ans avant d’être enfin reconnue. "Elle a révolutionné le roman en enlevant l’intrigue. Avec elle, il n’y a plus d’histoire, plus de personnages." Les oeuvres dramatiques de cette pionnière du nouveau roman demeurent méconnues, même si le public montréalais aura eu la chance, cette année, d’effectuer un peu de rattrapage, d’abord avec un rigoureux Elle est
là , mis en scène par Christiane Pasquier, puis avec ce volubile Silence.
Du nouveau roman au mime
"Au début, Nathalie Sarraute a eu de la difficulté à trouver un éditeur, malgré l’appui de Sartre. Elle a commencé à être lue dans les années 50, quand elle a écrit des choses sur le roman qui nous ont permis de redécouvrir Dostoïevski, Kafka, Flaubert, Virginia Woolf. Elle a donc longtemps travaillé seule, sans encouragement, à la dure. Et cela me fait penser au mime, qui a le même âge que le nouveau roman. Ce sont des affaires nouvelles, pas très bien comprises, sur lesquelles on se méprend aisément.
Nombreux sont ceux qui croient que le mime, c’est juste Marcel Marceau, c’est-à-dire des petites anecdotes fleur bleue."
Le Silence met en scène une conversation dont le fil est rompu par Jean-Pierre, qui observe sans mot dire. Les quatre femmes et les deux hommes qui bavardent à ses côtés sont troublés par ce silence, puis commencent à dire tout haut tout le mal qu’ils pensent de l’attitude du trouble-fête.
Jean Asselin s’empare de la maquette du décor. "La scéno évoque une piscine, pour signifier que tout se passe sous la surface. C’est ça, Sarraute. Quand on lui demande quel est le sujet de ses pièces, elle répond: autant que possible, rien. Son but, c’est de trouver une petite faille dans le réel pour s’y glisser. Comme Omnibus, elle renonce à l’histoire et recherche plutôt une réalité intérieure. Dans Le Silence, elle débusque l’intolérance du monde par rapport à l’altérité."
Jean Asselin interprétera le rôle de H1, celui dont l’inspiration se tarit devant le silence de Jean-Pierre, en compagnie de Caroline Binet, Catherine De Sève, Jacques E. Blanc, Christian Leblanc, Marie Lefebvre et Manon Brunelle. À la pièce, le metteur en scène a ajouté six parenthèses "tropismiques", qui permettront aux personnages d’exprimer par le mouvement leur perception du dérangeant Jean-Pierre, sur une musique du défunt Bernard Bonnier, composée en 1979. "On ne verra jamais Sarraute montée comme ça! Je suis persuadé que le mime éclaire son oeuvre…"
Jusqu’au 24 mai
À l’Espace libre