Festival de théâtredes Amériques : Tour de terre Marie-Hélène Falcon
Pour sa dixième édition, le Festival de théâtre des Amériques propose une programmation costaude et diverse: 23 spectacles venus du Québec, d’Amérique et d’Europe. Sa directrice, Marie-Hélène Falcon, nous en brosse un avant-goût.
C’est devenu un rendez-vous incontournable des printemps des années impaires. Pour la dixième fois, le Festival de théâtre des Amériques (FTA) convoque les Montréalais autour d’un cocktail alléchant de spectacles québécois et étrangers. Pour cette édition un peu spéciale, le FTA propose une manne substantielle de 23 shows, dont 10 venus de l’extérieur du pays. Sans compter les activités connexes. Après le creux du milieu des années 90, le Festival semble donc avoir repris sa vitesse de croisière.
"On s’est dit qu’il fallait marquer le coup", explique sa directrice Marie-Hélène Falcon, qui tient le fort contre vents et marées depuis qu’elle a créé l’événement en compagnie de Jacques Vézina, en 1985. "On est un peu sur cette lancée d’élargir le festival, de le faire plus varié, avec plus de créations, plus de coproductions, un contenu beaucoup plus multidisplinaire, ce qui reflète la situation du théâtre dans le monde, et est tout à fait dans la ligne du FTA, qui a toujours été très métissé."
L’édition 2003 de la biennale comporte donc, entre autres événements d’envergure, la recréation de la mythique Trilogie des dragons dans une usine ferroviaire (voir texte dans les pages suivantes), qui ouvrira la manifestation, ainsi que le retour du metteur en scène allemand Frank Castorf (Humiliés et offensés), qui avait fait sensation l’an dernier avec Endstation Amerika, lors de Théâtres du monde.
Le dixième FTA offre aussi un cadeau à son public: un grand spectacle extérieur et gratuit. Un théâtre de feu en trois actes, alliant musique et lumière. Le 31 mai, à 22 h 30, le Groupe F habillera la tour de l’Horloge du Vieux-Port d’Un peu plus de lumière. La troupe nîmoise dirigée par Christophe Berthonneau, Éric Noël et Éric Travers a déjà brillé de tous ses feux en illuminant les cérémonies de clôture des Jeux Olympiques de Barcelone, et la Tour Eiffel alors que le millénaire vivait ses derniers moments.
Des spécialistes de la pyrotechnie, donc, mais dont la démarche comporte une part importante de théâtralité, insiste Marie-Hélène Falcon. "C’est un théâtre qui associe la poésie, la musique, le feu, la lumière… Et c’est absolument magnifique, très éclatant, très touchant. Moi quand je l’ai vu, j’étais vraiment bouleversée, et très désireuse de présenter cette beauté-là aux Montréalais."
Du côté des hispanophones
Des Amériques, le Festival du même nom ne présente rien des États-Unis cette année, mais une délégation latino-américaine un peu plus étoffée que lors des dernières éditions, avec trois représentants. Un théâtre qui se nourrit volontiers des mythes anciens pour parler de son époque. Avec Ricardo 111, le Mapa Teatro de Bogotá se mesure au plus noir personnage de Shakespeare, non sans évoquer la désastreuse violence qui afflige la Colombie… La metteure en scène argentine Beatriz Catani a puisé dans la mythologie grecque pour composer sa fable Ojos de ciervo rumanos. César Brie, son compatriote exilé en Bolivie, où il a fondé le Teatro de Los Andes, revisite L’Illiade d’Homère (La Iliada) sous les couleurs des dictatures récentes…
On doit à un autre fils de la patrie de Borges, mais transplanté à Madrid celui-là, le spectacle dont la photo orne notre page couverture. After Sun porte la signature iconoclaste de Rodrigo García et de son Théâtre de la boucherie (Carniceria Teatro). Connu pour ses spectacles sulfureux (mentionnons quelques titres: Vous êtes tous des fils de pute, J’ai acheté une pelle chez Ikea pour creuser ma tombe…), l’auteur-metteur en scène-scénographe s’est fait remarquer au dernier Festival d’Avignon, qui présentait trois de ses pièces. Une "variation tragi-comique, où la transgression (des règles théâtrales, du bon goût) est inséparable de la réflexion", écrivait Libération à propos d’After Sun.
"García, c’est un météore, résume Marie-Hélène Falcon. C’est quelqu’un d’assez provocant, d’assez radical. Mais c’est un poète. After Sun est, à mon avis, un spectacle très poétique et tendre, sur une génération qui se cherche, qui est bombardée par la consommation, qui cherche, bêtement, l’amour, mais qui est lucide, et se rebelle contre les clichés, les idées reçues, le bien-pensant. C’est un spectacle très fantaisiste et très drôle. C’est une paire de claques, en riant."
Les retombées
Vrai que le FTA n’a jamais reculé devant les esthétiques radicales. Au fil des ans, les festivaliers ont pu y découvrir plusieurs démarches artistiques qui n’ont pas d’équivalent ici. "J’aime bien relayer des oeuvres fortes, dit son infatigable directrice. Sinon, j’ai présenté des choses tellement différentes, et en apparence tellement loin les unes des autres. Mais ce sont toutes des facettes de la création, qui expriment notre époque et qui nous aident à comprendre, ou à sentir, l’univers dans lequel on vit. Moi j’aime beaucoup ce microcosme qui fait qu’on regarde le monde sous différentes loupes. Un festival, c’est fait pour transformer le regard."
Sans tomber dans un bilan à l’enseigne de la nostalgie, Falcon estime que le festival est devenu un ferment dans le milieu théâtral québécois. "Je pense qu’on a une proportion du public qui est plus critique, plus nourrie. On a souhaité donner des références au public, et valoriser le travail des artistes d’ici en les mettant sur le même pied que les compagnies étrangères. On a aussi voulu favoriser les échanges, la circulation des étrangers chez nous, et vice versa. Je pense que ça a donné des résultats. Et je suis convaincue que c’est une nécessité, pour un festival international de création contemporaine comme le nôtre, de créer de nouvelles oeuvres. On devrait pouvoir le faire aussi avec des étrangers. Il y a encore tellement d’artistes à présenter, une telle richesse partout dans le monde. Cette année, il y a au moins 10 autres spectacles internationaux que j’aurais souhaité présenter si j’en avais eu la possibilité…"
Limité par des ressources économiques "extrêmement fragiles", le FTA occupe néanmoins une place primordiale dans le décor théâtral, qui ne serait pas le même sans les découvertes de Marie-Hélène Falcon. Après 18 ans, celle qui dirige et incarne la manifestation ne donne pas de signes de fatigue. "De faire découvrir ici ce qui m’a frappée ou bouleversée à l’étranger, c’est très passionnant. On a le désir de marquer jusqu’à un certain point le public, de créer des moments mémorables. Je pense que depuis 20 ans, il y a des spectacles qui ont laissé des traces, autant chez les artistes que chez le public. C’est pour ça qu’on le fait."
Quelles images impérissables la dixième édition laissera-t-elle en héritage dans le souvenir des festivaliers? Réponses à partir de la semaine prochaine…
Du 22 mai au 8 juin