Mats Ek : Maître et ballet
Scène

Mats Ek : Maître et ballet

Les Grands Ballets Canadiens accueillent de la grande visite: le chorégraphe suédois MATS EK vient remonter les pièces Solo for Two et Appartement. Une première pour une compagnie canadienne.

Étant donné l’oeuvre colossale associée au talent indéniable de Mats Ek, on s’attendrait, lorsqu’on le rencontre, à se trouver en face d’un gigantesque ego. Or ce n’est pas le cas. Car ce chorégraphe d’expérience est un homme d’une simplicité et d’une modestie désarmantes. Il parle sur un ton très bas, presque inaudible. Quand on lui pose une question, il hésite un certain temps avant de répondre. Il répond… s’arrête… continue. On sent qu’il cherche quelque chose à l’intérieur de lui. Je l’imagine bien en train de créer en studio…

Les Grands Ballets Canadiens de Montréal ont eu la chance inouïe de travailler avec ce maître d’oeuvre, car il s’est déplacé jusqu’à notre métropole pour remonter les pièces Solo for Two et Appartement, qui seront présentées au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts du 15 au 24 mai prochains. Ce sera d’ailleurs la première fois que les oeuvres de Mats Ek seront interprétées par une compagnie canadienne. Ce privilège, dont bénéficient actuellement les GBCM, est sans doute dû, en grande partie, à l’amitié qui existe depuis longtemps entre le chorégraphe suédois et Gradimir Pankov – directeur artistique des Grands Ballets.

Les chorégraphies de Mats Ek sont des petits trésors d’originalité. On a qu’à penser, entre autres, aux grands classiques tels que Giselle (1982) et Carmen (1992), qu’il a revisités d’une manière singulièrement audacieuse. L’esthétique qu’il propose semble sortir tout droit d’un monde où rêve et réalité s’entremêlent. Aussi, la gestuelle innovatrice qu’il a su développer nous laisse entrevoir une connaissance approfondie des rapports humains. Rien n’est superficiel dans l’oeuvre du chorégraphe. Elle semble être un reflet de notre société, car elle sait exprimer ce qui plane dans l’air du temps.

Mais lorsque l’on demande à Mats Ek s’il voit la danse comme un acte social, il répond tout bonnement: "Si je vois un rapport entre danse et société, c’est un rapport de nécessité. Je m’explique: empêchez un individu de rêver et il devient malade; empêchez une société de s’exprimer à travers l’art et elle en souffrira de la même manière."

En des termes plus concrets, l’originalité de ce chorégraphe est en partie due au fait que son ballet n’en est pas resté à un vocabulaire strictement classique. Pour créer, il a su s’inspirer de ce qui se situait à l’extérieur de ce code. Par exemple, dans son Solo for Two, on peut reconnaître des mouvements qui ont été clairement inspirés par la danse de rue. Je lui ai demandé ce qui lui plaisait dans ce type de danse. "Ce que j’aime, m’a-t-il répondu, c’est toute la beauté qui surgit de l’incroyable fluidité de cette danse… son énergie aussi. Je sens quelque chose d’expressivement fort."

Lorsqu’on compare Mats Ek à d’autres chorégraphes qui versent davantage dans le lyrisme, on a tendance à le qualifier – à tort – d’artiste cérébral. "Si certains croient que ma danse est cérébrale parce qu’elle semble conceptuelle, ils se trompent. Je dirais plutôt que je suis intuitif. Je saisis d’instinct le mouvement. Je ne le pense pas nécessairement." Quoi qu’il en soit, les catégories ne sont là que pour rassurer notre intelligence. Heureusement, l’oeuvre de ce chorégraphe n’a rien de rationnel.

Un impressionnant doublé
Il est important de souligner que cette soirée de ballet est partagée. En première partie, nous aurons droit à Without Words, de Nacho Duato. Il s’agit d’une sixième oeuvre montée pour les GBCM par ce chorégraphe d’origine espagnole. Pourquoi cette combinaison Ek et Duato? C’est que lorsque Duato était jeune chorégraphe au Nederlands Dans Theatre, il a collaboré avec Mats Ek, s’imprégnant par le fait même d’un style qui allait, par la suite, teinter son propre vocabulaire. Il existe donc un lien très étroit entre ces deux hommes.

Without Words se veut une pièce à l’image du travail de son chorégraphe: passionnée et collée à la musique. En effet, il s’agit d’un ballet où les formes engendrées dans l’espace feront écho à la musique instrumentale pour piano et violoncelle de Schubert. Ceux qui ont vu sa pièce Bach: MultiplicitéFormes du silence et du vide, qu’il a présentée à Montréal en novembre dernier, se souviendront du délice visuel que fut ce spectacle interprété par l’excellente Compana Nacional de Danza, qu’il dirige de main de maître.

La prochaine présentation s’annonce tout aussi éblouissante. D’autant plus que cette fois-ci, vous pourrez admirer, dans une même soirée, le travail de deux des plus grands chorégraphes de ballet contemporain que la fin du deuxième millénaire nous aura apportés. Un spectacle à voir!

Les 15, 16, 21, 22 et 24 mai
Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts
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