Wajdi Mouawad : Brûler les planches
Six ans après Littoral, WAJDI MOUAWAD revient au Festival de théâtre des Amériques avec une nouvelle création qui approfondit le même sillon, Incendies. Un spectacle qui a déjà enflammé le public de l’Hexagone.
Ce printemps, une série d’Incendies allumés par Wajdi Mouawad a embrasé le public français. De retour à Montréal depuis quelques semaines, l’auteur, metteur en scène et directeur du Quat’Sous est encore sous le choc de l’accueil délirant réservé à sa création, qui sera présentée en première nord-américaine au Festival de théâtre des Amériques. Une oeuvre qu’il rêvait de monter depuis qu’il a raconté pour la première fois la très belle histoire de Littoral, dont il s’agit en quelque sorte de la suite. Fabuleux conteur dans la vie comme au théâtre, Wajdi Mouawad confie d’une voix posée que ce spectacle lui a permis de découvrir quel auteur il était vraiment. Avec Incendies, il a fait un pas en avant. "J’ai vraiment eu l’impression d’accomplir les choses de manière nouvelle", amorce-t-il. Et quand, en plus, le public et les diffuseurs en redemandent et qu’une nouvelle tournée, pas prévue du tout, s’organise… c’est le bonheur. "Les comédiens sont plus qu’heureux, ils se sentent engagés dans quelque chose d’important. Moi, j’ai le sentiment que l’enfant que j’étais est extrêmement reconnaissant envers l’adulte que je suis devenu de ne pas l’avoir trahi. J’ai la conviction intime de ne pas avoir triché." Cette fois encore, il creuse le même sillon, celui de la mémoire, de la guerre et de l’exil. Sauf qu’il en extrait une matière plus riche, plus belle, dit-il. Incendies met en scène deux jumeaux qui tentent de comprendre pourquoi leur mère, qui vient de mourir, s’était murée dans le silence. Pour ce faire, ils partent à la recherche d’un père et d’un frère dont ils ne savent rien. Cette idée a germé dans la tête de l’auteur lors de la création de Littoral, au FTA, en 1997. Pas question toutefois de la concrétiser sans moyens. Surgissent quelques années plus tard deux directeurs de théâtre français qui souhaitent coproduire avec le Quat’Sous une création de son directeur. Il demande carte blanche et l’obtient. Les premières étincelles d’Incendies viennent de jaillir… "Je leur ai dit que je voulais répéter avec les comédiens durant 10 mois, pour pouvoir écrire le texte au fil des répétitions." Il recrute, pour incarner la mère à trois âges différents, Isabelle Roy, Annick Bergeron et Andrée Lachapelle, ainsi qu’Éric Bernier, Isabelle Leblanc, Rychard Thériault, Marie-Claude Langlois, Gérald Gagnon et le jeune diplômé Réda Guérinik.
Le temps et l’espace
"En mai dernier, on a commencé le travail par deux semaines de discussions. Je leur ai donné un cours sur l’histoire de la guerre du Liban, qui a commencé avec Noé et le déluge et qui a duré 10 heures." Ils parlent de leurs origines, de réconciliation, de l’importance de raconter une histoire au théâtre. "D’où vient ce sentiment de quétainerie profond que j’ai parce que je n’utilise pas les nouvelles technologies? Est-ce qu’un acteur debout, en train de dire un texte, ça a encore de la valeur?" leur demande entre autres le metteur en scène. Ils se retrouvent en octobre, pour commencer à travailler dans l’espace. "On a tellement parlé des personnages qu’au bout d’un mois et demi, les comédiens les connaissaient comme les membres de leur famille. Alors, lorsque je me suis mis à écrire, cela a coulé de source. Ce travail m’a permis d’en apprendre sur mon langage scénique. Raconter une histoire, c’est essentiellement choisir la manière dont on va disloquer le temps et l’espace. Ce sont les fondements mêmes d’un récit. Le temps, pour moi, est associé à la lumière et l’espace, au corps. Donc, mettre le corps en lumière, c’est faire dialoguer l’espace avec le temps." Une fois la pièce écrite et le travail de mise en place accompli, ils enchaînent en mars, avant de s’envoler pour Grenoble. Mais une fois là-bas, rien ne va plus. Conscient que "quelque chose cloche", Mouawad achète un billet de train pour Paris et passe quatre heures dans un wagon à raturer son texte. Il retranche une heure de spectacle. "Et c’est là que j’ai fait quelque chose de nouveau. Avant, je coupais en voyant ce qui était de trop lors des représentations. Cette fois, j’ai réussi à voir les longueurs avant." Trois jours plus tard, il est récompensé par une ovation du public. "La réaction a été tellement élevée, élevante, que je suis revenu à Montréal étourdi, avec le sentiment d’avoir avancé à travers une histoire importante pour moi." Bien qu’il soit question de filiation en période de guerre dans Incendies, Wajdi Mouawad affirme qu’il s’agit avant tout d’une histoire d’amitié au féminin. "Cette fois, j’avais envie d’écrire pour les femmes. Incendies est en quelque sorte la deuxième partie d’une oeuvre quadripartite amorcée avec Littoral", révèle le directeur du Quat’Sous, qui quittera son poste à la fin de la saison prochaine. Le troisième volet pourrait s’appeler Ciel et prendre la forme d’un roman, confie-t-il. On brûle déjà de curiosité…
Les 23, 24, 25 et 27 mai
Au Théâtre de Quat’Sous