Charlotte Laurier : Planches de salut
Scène

Charlotte Laurier : Planches de salut

Grandement disparue des écrans depuis 2 Secondes, CHARLOTTE LAURIER a trouvé un nouveau canal pour s’exprimer: la douée comédienne se lance dans l’écriture et la mise en scène avec Capharnaüm. Une adaptation théâtrale d’une histoire d’abord destinée au septième art.

Elle a grandi à l’écran, mais c’est désormais au théâtre que Charlotte Laurier compte trouver sa voie. L’inoubliable interprète des Bons Débarras accouche d’une première pièce qu’elle met en scène, Capharnaüm. Une oeuvre qu’elle a d’abord mis deux ans à écrire sous forme de scénario. Mais faute de trouver une complicité avec un producteur, et peu désireuse de faire des compromis, la comédienne a fini par songer à la scène pour voir aboutir cette histoire en laquelle elle croyait, et qui a trouvé un intérêt à La Licorne.

La vedette de 2 Secondes est pourtant plus coutumière de la pellicule que des planches. À dix-huit ans, fascinée par le théâtre, elle était montée à Paris dans l’espoir de faire le Conservatoire, et y est demeurée un an à suivre des cours privés. Refusée au second tour, la jeune femme a remisé son rêve scénique, et est revenue habiter nos écrans (Le Party, Une histoire inventée…). Sa seule incursion théâtrale, à 23 ans, sera l’interprétation, pour le Théâtre de l’Opsis, d’une scène d’On ne badine pas avec l’amour, où elle a rencontré Suzanne Lemoine.

C’est à cette comédienne "pas comme les autres" que l’auteure a pensé pour incarner la protagoniste de son Capharnaüm. Après deux ans d’incarcération et une désintoxication, Roxanne se bat pour retrouver son équilibre psychologique et une place dans le monde. "Il y a un côté rebelle chez Roxanne, un mélange de force et de fragilité, et aussi un instinct de survie qui la fait se démener", décrit sa créatrice.

Capharnaüm explore un univers dense et tourmenté. "Je suis fascinée par la délinquance, par les gens qui n’ont pas le contrôle sur leur existence", avoue la comédienne qui a grandi dans un bungalow longueillois, au sein d’une famille de neuf enfants (dont deux soeurs artistes). "C’est inscrit depuis longtemps en moi, cette espèce de douleur-là. On n’a qu’à penser aux Bons Débarras: ça fait des flammèches de jouer un rôle comme ça. J’étais trop introvertie, alors ça m’a douloureusement libérée. Ça m’a donné le droit de dire dans ma vie ce que je ne disais pas avant. J’avais une révolte en moi, qui a jailli et m’a profondément marquée."

Mais la création artistique inspire aussi Charlotte Laurier. La plupart des personnages de Capharnaüm s’expriment à travers l’art: la peinture abstraite pour Roxanne, le jeu pour sa soeur actrice, Sophia, qui l’a trahie avec son amant, Luis, pendant son séjour en prison. Les retrouvailles difficiles de ces soeurs aux antipodes sont au coeur du texte.

Sophia répète une pièce aux envolées poétiques que Luis a écrite en se mettant dans la peau déchirée de Roxanne. "L’actrice joue un personnage existant dans la vie, mais qui est transposé, et Marie-José Normand a amenée Sophia ailleurs, dans une énergie beaucoup plus lumineuse que je ne l’imaginais. Ça crée une distance très intéressante", estime Charlotte Laurier.

Entre ces tirades lyriques et une langue parlée, Capharnaüm conserve un caractère "hétéroclite" dont l’auteure est contente. L’adaptation théâtrale a aussi gardé de son médium originel une structure cinématographique, en courtes scènes et lieux éclatés, une énergie qu’"on ne voit pas encore beaucoup, sauf chez les jeunes auteurs qui sont inspirés par le cinéma, par une écriture plus nerveuse".

Les mots pour le dire
Charlotte Laurier, qui a elle-même tâté de la peinture abstraite, entretient depuis longtemps un rapport aux mots. Ne serait-ce qu’en écrivant son journal. "J’avais absolument besoin de ça. Quand tu ne travailles pas pendant six mois ou un an, qu’est-ce que tu fais? Au lieu de me morfondre, et même si je me morfondais quand même, j’écrivais. Moi, j’aurais voulu jouer, jouer, enchaîner des rôles forts. Mais je suis une pigiste, et je vis la réalité de toujours repartir à la case départ. Et ce statut-là, à la longue, c’est pesant. Moi, je veux exprimer quelque chose à travers ce métier-là."

Difficile à croire, mais après 2 secondes, sorti en 1998, le téléphone de Charlotte Laurier n’a pas sonné – sinon pour un petit rôle dans le film Quelque chose d’organique. "C’est un phénomène mondial. Il y a plein d’actrices que je trouve bonnes, et qu’après un film, on ne revoit plus. C’est aberrant. Oui, je trouve ça injuste, mais je ne prends pas ça personnel. C’est peut-être un mal nécessaire: ça peut susciter une réflexion très riche."

La comédienne en a fait son deuil. "Je ne me sens plus du tout comme si j’avais perdu quelque chose. Au niveau de l’expression, je suis comblée. Je me suis confrontée à moi-même, et ça a été très positif. L’écriture m’a emmenée dans des moments super intenses, où le jeu ne m’avait pas emmenée, presque." Il n’est pas dit que la carrière d’actrice qu’elle a amorcée si jeune (à 11 ans) et de façon si éclatante est terminée. Mais l’écriture lui a permis de ne plus "subir ce statut-là".

En attendant, forte de son expérience d’interprète, elle prend un grand plaisir à diriger sa talentueuse distribution (qui compte aussi Maxime Denommée, Patrice Savard et Monsieur Symfolium, François Gourd!). Charlotte Laurier a découvert au théâtre "un endroit où on peut encore être spontané, risquer, se commettre. J’ai ouvert une porte, et je veux continuer à écrire pour le théâtre. Je sens que c’est un milieu qui m’accueille, et je trouve ça terriblement touchant. J’ai cherché ma place pendant des années. Et j’ai l’impression de l’avoir trouvée."

Du 29 mai au 14 juin
À La Licorne