La Face cachée de la lune : Mission accomplie
Pour expérimenter l’état d’apesanteur au théâtre, il faut être du voyage de La Face cachée de la lune, le magnifique solo de Robert Lepage porté par Yves Jacques. Après avoir survolé l’Amérique, l’Europe, l’Océanie et l’Asie, cette pièce inventive jouée brièvement à Montréal en 2001, dans le cadre du Festival de théâtre des Amériques, est enfin de retour, superbement servie par un interprète d’une grande sobriété.
Pour expérimenter l’état d’apesanteur au théâtre, il faut être du voyage de La Face cachée de la lune, le magnifique solo de Robert Lepage porté par Yves Jacques. Après avoir survolé l’Amérique, l’Europe, l’Océanie et l’Asie, cette pièce inventive jouée brièvement à Montréal en 2001, dans le cadre du Festival de théâtre des Amériques, est enfin de retour, superbement servie par un interprète d’une grande sobriété. Un véritable cadeau tombé du ciel.
Robert Lepage a mis en orbite un spectacle apaisant, conçu sous le signe de l’harmonie, dans lequel il effectue un parallèle entre le lent rapprochement de deux frères que tout sépare et la course à l’exploration spatiale que se livrent les nations ennemies russe et américaine dans les années 60. Un show aussi ingénieux dans sa forme que zen dans son propos.
L’aîné, Philippe, est un éternel étudiant qui pioche sur une thèse de doctorat consacrée au narcissisme des astronautes. Un maigrichon à lunettes introverti, hypersensible mais sympa, qui habite seul et exerce l’ingrat boulot de solliciteur téléphonique. Son rêve est de rencontrer le cosmonaute soviétique Alexei Leonov, l’homme qui aurait été le premier à marcher sur la Lune… si les Américains ne l’avaient pas doublé. Pour passer le temps, il tourne un journal vidéo destiné aux extraterrestres. À la mort de sa mère, il adopte son poisson rouge, remplit son placard de robes fanées et reprend contact avec son cadet.
Ce dernier est un Monsieur météo parvenu, ambitieux et égocentrique, qui ne comprend rien aux états d’âme de son frère et ne semble pas souffrir du décès de leur mère. Un monde les sépare.
Tous deux sont interprétés par Yves Jacques, qui incarne aussi leur génitrice le temps d’une très belle scène muette, ainsi que le médecin de famille. Le comédien impressionne tant par ses talents de transformiste que par son jeu raffiné et précis. Il a beau répéter qu’il doit tout à Robert Lepage dont il a repris le rôle, ceux qui ont manqué la première mouture jouée par le maître seront soufflés par la performance de son apprenti. La pièce comporte plusieurs scènes désopilantes, dont une où André tente très sérieusement de convaincre son aîné d’embaucher un conseiller financier qui lit dans les portefeuilles… comme d’autres dans les feuilles de thé!
Cette histoire prenante est mise en scène avec imagination et ingéniosité par le créateur de La Trilogie des dragons, qui réussit encore une fois à nous propulser dans un monde merveilleux avec trois fois rien (une planche à repasser, un hublot). L’espace scénique rectangulaire – comme en cinémascope – se métamorphose au gré des scènes, grâce à des panneaux coulissants et miroirs qui basculent. Soulignons l’extraordinaire pouvoir d’évocation des objets scéniques: la porte d’une sécheuse devient le hublot d’un vaisseau spatial, une horloge ou le soleil, tandis qu’une planche à repasser se fait mobylette, puis table d’examen ou de musculation.
À la grande illusion ainsi créée s’ajoutent une musique atmosphérique de Laurie Anderson et quelques apparitions d’une charmante marionnette-cosmonaute. Toutes ces pièces s’emboîtent en une mécanique parfaitement huilée, aux mouvements d’une précision quasi mathématique. À des années-lumière du décevant Zulu Time, cette production à la fois intime et spectaculaire scintille d’un éclat particulier dans la constellation des oeuvres lepagiennes. Brillant.
Jusqu’au 5 juin
Au Théâtre du Nouveau Monde
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