L’Indochine entre les deux guerres. La Mère investit toutes ses modestes économies dans l’achat d’une concession pour vite réaliser qu’on l’a dupée: six mois par année, le Pacifique envahit ses terres.
Écrite en 1977 par l’indicible écrivaine Marguerite Duras, la pièce scrute les bas-fonds de la "destruction", mot-clé présent dans tout son ouvre, et fait partie de ses créations que l’on peut qualifier d’autobiographique. Elle met en ouvre le personnage omniprésent de la mère, entière, courageuse et obstinée, aimée et détestée, qui se ruinera jusqu’au trépas, en construisant des barrages pour vaincre la mer.
L’inimitable fluidité de l’écriture de l’auteure de L’Amant, fait de cette production une trêve qu’il faut d’abord apprécier avec l’oreille pour ensuite l’admirer des yeux.
Les barrages, récurrence au fil de la pièce, se veulent en fait la métaphore du sentiment d’envahissement et d’anéantissement des personnages. La désignation de la mère se confond aussi avec la mer, fascinante et destructrice: "Un vent du pacifique est passé sur le corps de la mer (de la mère)…"
Brigitte Haentjens a proposé une mise en scène qu’elle a surtout exploitée dans la forme, explorant avec finesse, l’écriture truffée de silences, d’ironie et de folie de Duras.
Les personnages sont postés derrière un tulle, donnant à l’aide des éclairages une ambiance feutrée où les personnages évoluent dans un décor asymétrique.
Sous son air sévère et entêté, la comédienne Christiane Pasquier innove sous les traits de la mère, Sonia Vigneault incarne le personnage narratif et interprète de la fille, Suzanne, Pascal Contamine joue le personnage du frère Joseph, auquel Suzanne voue un sentiment qui dépasse la simple fraternité, Denis Gravereau, restera muet, dans le rôle du caporal et finalement Paul Savoie joue les riches soupirants dans le personnage de Monsieur Jo.
Entre la brutalité et le rythme alangui de l’Éden cinéma, certains ne trouveront pas leur compte. Mais une fois que la pièce a pris son second souffle, le propos prend tout son sens et ne s’évanouit pas sans laisser des traces.