La Trilogie des dragons : Voyage dans le temps
Puisque, comme l’illustre La Trilogie des dragons, le passage du temps ne laisse pas intacts les choses et les êtres, les années allaient-elles servir la même médecine au mythique show et en éroder la magie?
Puisque, comme l’illustre La Trilogie des dragons, le passage du temps ne laisse pas intacts les choses et les êtres, les années allaient-elles servir la même médecine au mythique show et en éroder la magie? Disons tout de suite que si l’éblouissement propre aux grandes découvertes n’est plus de mise (le style a depuis fait école), le spectacle-événement de Robert Lepage et compagnie reste impressionnant. Et pour les néophytes (j’en suis) qui n’ont pas assisté à la première aventure il y a 16 ans, le voyage ne se refuse pas.
Et c’est tout un voyage dans le temps que nous proposent Ex Machina et le FTA: \à la fois aux sources créatives de l’auteur de La Face cachée de la lune, et au sein d’un marathon théâtral qui se décline en trois générations, de 1910 à 1986, et six heures de représentation, trois entractes inclus (à l’heure où ça se termine, mieux vaut disposer d’un véhicule…).
Le grand metteur en scène a remis sur ses rails, dans les vestiges d’une immense usine ferroviaire, ce spectacle sur la mémoire, la migration des êtres à travers les territoires et la vie. De Québec à Vancouver, on y suit les destins croisés, heureux ou malheureux, de quelques personnages et de leurs descendants (Québécois, Canadiens, Chinois et Japonais), retraçant ainsi une sorte d’évolution des relations entre les cultures orientales et occidentales, de l’incompréhension et l’intolérance du début à une cohabitation obligée et difficile, puis à un véritable échange.
S’y dessinent déjà des thèmes que le créateur des Sept Branches de la rivière Ota reprendra plus tard: la fascination pour l’Orient, l’univers des aéroports, les séquelles d’Hiroshima, les chocs entre des univers différents, les coïncidences presque lelouchiennes…
Mais, en général, La Trilogie des dragons séduit moins par l’histoire qu’elle raconte (qui joue avec des éléments mélodramatiques et via certains archétypes, comme cette geisha à la sauce Madame Butterfly) que par la façon dont elle la raconte. Le spectacle travaille de brillante façon sur le temps et l’espace, avec des flash-back, des raccourcis, des accélérés, des actions parallèles, des scènes qui prennent leur sens à travers la génération suivante. Le langage scénique y est particulièrement évocateur, par exemple lors de cette valse des patineurs qui se transforme en parade militaire puis en danse guerrière.
C’est là du Lepage quintessenciel, qui marie ludisme et imagination: un réseau de correspondances narratives; des raccourcis scénographiques brillants; un art de la métamorphose qui s’opère avec une simplicité merveilleuse sous le regard du public; l’utilisation d’objets-symboles – une guérite devient ainsi tour à tour une cabine de stationnement, l’entrée d’une boutique, une machine à radiographie… Comme ces deux fillettes qui réinventent leur univers avec des boîtes à chaussures, Robert Lepage y a généralement recours à des moyens étonnamment simples, en regard des technologies qu’il utilisera plus tard.
D’un rythme lent mais aux liaisons fluides, le spectacle est solidement soutenu par la nouvelle distribution, surtout la paire formée par Véronika Makdissi-Warren, touchante, et la savoureuse Simone Chartrand. Certains personnages semblent pourtant moins bien développés, comme la jeune Canado-Japonaise dont la rencontre avec l’artiste québécois (Hugues Frenette) s’étire en longueur.
Apparemment la plus remaniée des trois "dragons", la dernière partie semble d’ailleurs la moins réussie. Mais, suivant la méthode Lepage, elle évoluera et s’affinera sûrement. Avec le temps. Pour l’instant, La Trilogie est transmise à une nouvelle génération, de spectateurs comme d’interprètes, servant en cela la logique de la pièce.
Jusqu’au 8 juin
À l’Usine d’Alstom