Capharnaüm : Beau bordel
Scène

Capharnaüm : Beau bordel

La première pièce de Charlotte Laurier porte un titre qui lui va bien, Capharnaüm, c’est-à-dire lieu qui renferme beaucoup d’objets en désordre. Pour clore l’excellente saison de La Licorne, le directeur artistique du Théâtre de la Manufacture, Jean-Denis Leduc, a choisi de regarder vers l’avant, en offrant à une comédienne bien connue du public (depuis sa révélation dans Les Bons Débarras, il y a 25 ans) l’occasion de faire ses premiers pas comme auteure et metteure en scène.

La première pièce de Charlotte Laurier porte un titre qui lui va bien, Capharnaüm, c’est-à-dire lieu qui renferme beaucoup d’objets en désordre. Pour clore l’excellente saison de La Licorne, le directeur artistique du Théâtre de la Manufacture, Jean-Denis Leduc, a choisi de regarder vers l’avant, en offrant à une comédienne bien connue du public (depuis sa révélation dans Les Bons Débarras, il y a 25 ans) l’occasion de faire ses premiers pas comme auteure et metteure en scène. Il y a, dans le monde de Charlotte, des maladresses et beaucoup de naïveté mais, surtout, une humanité qui rend son Capharnaüm plutôt séduisant.

Cette pièce trash et urbaine, au désespoir très nineties, porte encore l’empreinte du scénario que l’auteure a choisi de transposer à la scène, devant le peu d’empressement des producteurs cinématographiques. Les échanges sont punchés et les lieux, nombreux. Au coeur de cette sombre histoire, deux soeurs que tout sépare. L’enragée Roxanne (Suzanne Lemoine) retrouve la liberté après deux ans d’incarcération pour avoir commis un vol de banque, armée d’un fusil en plastique. Elle s’est sevrée de l’héroïne, mais pas encore de son ex, le "scénariste plein de vices" Luis (Patrice Savard). Sophia (Marie-José Normand) est pour sa part une actrice froide au look BCBG, qui dit n’être jamais tombée amoureuse, même si elle fréquente Luis depuis l’emprisonnement de sa soeur.

Autour de ce triangle amoureux gravitent de sympathiques personnages secondaires, tous interprétés par le très polyvalent et toujours drôle François Gourd, ainsi qu’une musicienne de rue (Anique Kenza) et un ange aux doigts tachés d’huile à moteur (Maxime Denommée, amusant dans le rôle du bon gars terre à terre). Charlotte Laurier semble avoir particulièrement bien dirigé Suzanne Lemoine, frondeuse et impertinente à souhait, ainsi que la gracieuse Marie-José Normand, tandis que Patrice Savard fait ce qu’il peut avec un personnage peu abouti, frôlant le cliché.

Les faiblesses de ce Capharnaüm se remarquent surtout dans le texte, dont quelques répliques peu subtiles semblent tirées d’une émission de fin d’après-midi pour adolescents. Heureusement que certains traits d’humour allègent l’atmosphère. Les paumés mis en scène par Laurier ont peu de vocabulaire pour exprimer leur mal de vivre mais ils le font avec fougue, ce qui ajoute de l’authenticité aux scènes, que l’on dirait captées sur le vif. Dommage que de trop longs extraits du Journal d’Anaïs Nin, lus par Sophia, viennent ralentir le rythme, autrement enlevé, de la production.

L’espace scénique est divisé en plusieurs lieux, dont l’appartement où peint rageusement Roxanne, côté cour, et le studio où pioche le scénariste, côté jardin. Entre ces îlots, des passerelles brisées et une échelle, ainsi que des néons et effets stroboscopiques pour l’ambiance. Peu d’accessoires sont utilisés; ici, le bric-à-brac se crée surtout à partir des mots et des cris de révolte, crachés sans répit.

Avec cette oeuvre coup de poing, très dense, que l’on devine par moments autobiographique, Charlotte Laurier brise la glace de belle façon. Si cette auteure prometteuse réussit à mettre un peu d’ordre dans son capharnaüm intérieur, sa prochaine création pourrait cogner fort…

Jusqu’au 14 juin
À La Licorne