Frédérick Gravel : Hybride-action
Scène

Frédérick Gravel : Hybride-action

Du 12 au 22 juin prochains se tiendra la tant attendue 13e édition du Festival Fringe de Montréal. Nous pourrons y voir, entre autres, le travail remarquable du dynamique collectif de breakers féminines Solid State et du théâtral Dave St-Pierre. Mais surtout, l’un des petits bijoux de cet événement sera sûrement la présence d’un nouveau visage de la danse montréalaise: Frédérick Gravel. Un esprit ingénieux et éclairé qui ne se contente pas de reproduire les stéréotypes… il les dépasse par l’ironie.

Sa danse semble être le reflet de la pensée de la jeune génération qui ressent avec urgence le besoin de remettre en question l’académisme d’une vieille garde qui impose souvent une image de la danse ne collant plus à la réalité actuelle. "Pendant mes études universitaires, j’ai accepté de me prêter au jeu de l’artiste tourmenté parce que c’était la recette prescrite par certains profs qui dirigeaient les cours de création. À ce moment-là, je trouvais ça intéressant et instructif, mais la vraie vie, c’est autre chose: tu dois travailler pour avoir du fric, pour ensuite créer dans les rares petits temps libres qu’il te reste. Alors déjà que je me fais chier toute la journée au boulot, j’ai pas envie de retomber dans les affres du tourment lors de mes petits moments de liberté. J’ai envie d’avoir du plaisir à créer. Pour moi, l’art, c’est d’abord et avant tout revivifiant."

Voici donc une des raisons qui l’ont poussé à intituler son prochain spectacle Plutôt divertissant!. Mais aussi par ironie face à notre société médiatique du spectaculaire qui surqualifie tout à outrance, que ce soit un film, une pièce de théâtre, un show d’humour, une chorégraphie ou même un simple objet à vendre: "époustouflant!"; "le meilleur film que la critique ait vu jusqu’ici…"; "des effets spéciaux hallucinants"; et bientôt "un chill de full-débile écoeurant de film super cool man! t’sé genre comme…".

Plutôt divertissant!, c’est utiliser la formule exclamative pour dire, en fait, quelque chose de très modéré. Une forme "d’hybridation fortuite", comme ce jeune chorégraphe aime bien l’appeler: "Je suis toujours à la fois surpris et satisfait de me retrouver en face de ce genre de phénomène dans la vie de tous les jours. Par exemple, la dernière fois que je suis allé aux toilettes dans un restaurant asiatique, je me suis retrouvé en face d’une porte coulissante (côté asiatique) en plywood (plutôt occidental!) qui ouvrait sur un mur de briques (très citadin nord-américain)."

La gestuelle de Frédérick Gravel est représentative de cet intérêt pour les métissages bizarres, car son univers chorégraphique est composé d’une suite de postures étranges. Des formes qui semblent, au premier coup d’oeil, simples et nonchalantes, mais qui laissent émerger de la corporéité des interprètes une énergie clairement investie et qui demandent, par nécessité, une grande maîtrise technique. Son oeuvre nous expose donc à la contradiction, tout comme son titre.

Plutôt divertissant! est également une oeuvre multidisciplinaire, en ce sens qu’elle propose la coexistence de la danse, d’une musique live de style jazz et de quelques réflexions humoristiques – mais non moins profondes – émises sur scène par le chorégraphe. Un mélange qui sait donner un ton feutré à ce spectacle qui se savoure tel un porto servi dans un verre à shooter fait de chocolat noir à 72 % de cacao.

Les interprètes de cette pièce sont Caroline Gravel, Nicolas Filion, Jean-François Légaré, Ivana Milicevic et Marilyne St-Sauveur. Les musiciens: Mathieu Deschenaux (à la contrebasse), Philippe Doré (au piano), Hugo Gravel (à la batterie) et notre chorégraphe polyvalent (à la guitare).

Frédérick Gravel est sans aucun doute l’une des figures artistiques les plus prometteuses de sa génération, car il sait concilier corps et pensée, arts et société. Ce que peu d’artistes de son âge savent faire avec autant d’intelligence. À voir! Pour les lieux et horaires des représentations, veuillez consulter la revue du Fringe, distribuée un peu partout, ou le site Internet du Festival: www.montrealfringe.ca.

À surveiller
Les 13 et 14 juin, à la salle Saint-Sulpice de la Bibliothèque nationale du Québec, située au 1700, rue Saint-Denis, sera présenté le spectacle Mémoire de l’Indus. Un hommage à ce peuple gitan du Nord de l’Inde, qui fut un des premiers à influencer la culture flamenca. Douze danseurs se partageront la scène au coeur de l’atmosphère suavement plaintive et passionnelle si caractéristique de cette danse nomade.