Tokyo Triangle : Fight club
Scène

Tokyo Triangle : Fight club

Voilà enfin un type de danse qu’on aime retrouver dans un festival comme le Fringe, qui semble vouloir présenter un "art de la marge" par lequel advient l’innovation. Je dis enfin! car c’est non sans un certain découragement que je suis ressorti des deux premiers spectacles de danse que j’ai vus. J’en reparle d’ailleurs en détail plus bas. Illusion of Love, au contraire des deux autres pièces, m’a littéralement charmé. Pas nécessairement parce qu’on y traite de désir, de pulsion, d’érotisme, d’amour et de sexualité, mais parce qu’on le fait réellement. En ne mettant pas de gants blancs. Et en assumant totalement la "physicalité" associée à ce genre de thématique.

Cinq danseurs qui osent suer, s’essouffler, se toucher, se gifler, se tordre et crier nous offrent une danse qui allie butô et contemporain. Sous nos yeux se déroule un rite de passage représentant l’éveil de la libido et les transports que cela occasionne nécessairement. Le tout est joué à l’intérieur des paramètres du grotesque, ce qui permet au propos – plutôt délicat, vu sous un angle nord-américain – de passer la barrière du quatrième mur sans s’embrocher sur la petite clôture à piques politiquement correcte que notre censure a dressée.

J’ai rarement vu des interprètes se donner avec autant de générosité et de dévouement; une honnêteté artistique qui était tout à l’honneur des interprètes, car ceci a eu pour effet de placer l’auditoire en état de totale disponibilité du début à la fin. Ces artistes du Japon – comme cela semble être de coutume – nous ont remerciés d’être venus les voir: il étaient tous alignés devant la porte de sortie pour nous offrir une chaleureuse poignée de main. Voilà une leçon d’humilité dont certaines "divas" du milieu de la danse occidentale pourraient tirer profit… et qui nous remet en face du fait – pourtant simple – que le spectacle n’existe pas sans le spectateur.

Isabelle Barbat
La première de Tumulte des flots, de la chorégraphe et performeuse française, s’est déroulée un jour de pluie dans une salle (le MAI / Montréal Arts Interculturel) encore trop méconnue du public. Deux éléments n’ayant pas joué en faveur de cette étrangère qui a dû performer devant une audience quasi inexistante.

L’oeuvre qu’elle y présente jusqu’au 22 juin s’inscrit davantage dans le cadre d’une démarche très personnelle et plutôt hermétique du mouvement, en ce sens que la danse qui nous est proposée est une hybridation entre yoga et théâtralité. Un mélange qui laisse entrevoir par moments quelques lacunes. Car l’effet théâtral sonne faux lorsqu’il apparaît soudainement à la suite d’une séquence se voulant authentique, où ce qui prime à l’intérieur du mouvement est un flux énergétique ressenti – qui se rend parfois difficilement jusqu’à nous. Ceci donnant l’impression que la formule n’est pas encore au point… ou que l’interprète s’essaie tout simplement sur un terrain qu’elle ne maîtrise pas suffisamment.

Par contre, on sent qu’Isabelle Barbat maîtrise à merveille sa voix, dont elle nous fait cadeau dans une hypnotisante interprétation de la chanson Sometimes I Feel Like a Motherless Child, qu’elle accompagne d’une gestuelle touchante, sous des éclairages qui mettent en valeur la prestation. Sûrement le plus beau moment du spectacle! Mais, malheureusement, le seul qui sache nourrir suffisamment notre intérêt.

Kim Olson
Sweet Edge est une trilogie qui – ne ménageons pas nos mots – ne projette rien. Les corps, dans l’ensemble, manquent d’investissement. On utilise souvent le contrepoids, mais à moitié, et de manière un peu trop timide. La gestuelle est poussiéreuse et semble ne s’être jamais détachée de l’influence de la danse moderne que l’on pratiquait au début du siècle dernier. Or, on en est actuellement rendu à questionner une ère post-moderne sur ses derniers grains: ça fait donc deux métros de retard!

Ajoutez à cela une scénographie déjà cent fois utilisée dans la plupart des shows de cégep et une musique qui semble avoir été plaquée par-dessus la gestuelle, sans aucune pertinence artistique, et vous obtenez un spectacle qui se veut génial – comme l’affiche si prometteuse nous l’annonçait – mais qui demeure banal, même dans ses plus beaux instants. En ce sens qu’il n’apporte rien aux spectateurs, sinon la démonstration d’une série de mouvements inhabités… sans âme. Je propose donc aux danseurs de cette compagnie d’aller voir le spectacle de Tokyo Triangle, dont j’ai parlé précédemment, question de constater qu’il n’y a pas de limite à l’investissement personnel du corps en danse… sinon psychologique ou culturelle, peut-être. Pour connaître les lieux et horaires des spectacles, veuillez consulter la revue du Fringe ou le site www.montrealfringe.ca.