Les Belles-Soeurs : Cuisine à l’italienne
Les Belles-Soeurs
de Michel Tremblay n’ont pratiquement jamais cessé de voyager depuis leur venue au monde, en 1968. De Paris à Tokyo, elles se sont se multipliées sur des centaines de scènes, en une dizaine de langues. On en parle aujourd’hui comme d’un classique du jeune répertoire québécois, indémodable bien que monté et perçu différemment au fil des ans. En 2003, la pièce n’a peut-être plus la même charge politique mais elle n’a rien perdu de sa pertinence ni de son humour. Pour ceux qui auraient manqué la reprise des Belles-Soeurs au Théâtre Jean-Duceppe il y a 10 ans, voici l’occasion de faire un peu de rattrapage.
Serge Denoncourt en est à sa deuxième mise en scène de la pièce, à laquelle il s’était mesuré au Trident il y a une dizaine d’années. Cette fois, il en a concocté une version plus comique que tragique, méditerranéenne, pimentée, colorée, forte en gueule et festive. Les 15 voisines réunies pour coller des timbres-primes forment une "mammafia" sans pitié, dont les ragots et les phrases assassines sont les armes de prédilection. Gare à celle qui ose sortir du rang!
On est donc dans la caricature jouissive et libératrice: la gagnante du million de timbres-primes, Germaine Lauzon (Louison Danis), est plus vantarde, autoritaire et égoïste que jamais, tandis que ses invitées ne font pas – elles n’ont plus – dans la demi-mesure. Les choeurs chantés sont accrocheurs, dont celui sur leur "maudite vie plate" et l’ode au bingo, transformée en chant liturgique.
Parmi les 15 comédiennes réunies, soulignons la performance de Danielle Proulx, qui campe une Rose Ouimet étonnante au visage dur, sèche et chicanière. Souhaitons que cette première incursion dans l’univers de Michel Tremblay connaisse des suites. Adèle Reinhardt est irrésistible dans le rôle de Thérèse, la belle-fille névrosée mais si dévouée (et violente!) de la gâteuse Olivine Dubuc; Isabelle Drainville démontre un grand talent comique dans le rôle de Marie-Ange Brouillette; Chantal Baril suscite les éclats de rire sous l’étole de la snobinarde Lisette de Courval; Louison Danis incarne avec fougue et sensibilité l’hôtesse Germaine Lauzon. Manon Lussier, Josée Beaulieu, Anne Bryan, Sophie Cadieux, Denise Dubois, Danièle Lorain, Audrey Lacasse, Catherine Richer, Danielle Lépine et Marjorie Smith complètent la distribution.
Ces dames s’affrontent dans un décor dépouillé (Louise Campeau), constitué d’une table à rallonges et de hautes armoires qui font tapisserie. Les costumes colorés de François Barbeau (qui était de l’équipe de la création, il y a 35 ans) apportent une touche kitsch au spectacle.
Un bémol: chatouillé dès les premières minutes, le public continue de rire à gorge déployée durant le deuxième acte, pourtant beaucoup plus tragique. Cette difficile transition entre la comédie et le drame est peut-être la seule (petite) faiblesse de ces Belles-Soeurs d’une exubérance tout italienne. Rien pour gâter la sauce…
Jusqu’au 6 septembre
Au Bateau-Théâtre L’Escale, à Saint-Marc-sur-Richelieu
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