Téléroman : Critique
Jusqu’au 30 août
Aux Oiseaux de passage
Le Théâtre des Fonds de Tiroirs propose cet été la pièce Téléroman, de Larry Tremblay. On y rencontre une troupe de danseurs amateurs qui préparent, sous la direction de Christophe, la chorégraphie Cheval. Entre les répétitions où ils cherchent la pureté du geste, ils en viennent aux aveux: tous suivent avec passion le téléroman Piscine municipale.
Investissant un espace très réduit, jouant dans un décor formé d’une rangée de casiers surmontés par neuf téléviseurs (Yasmina Giguère), les comédiens incarnent ici des personnages un peu névrosés, mal dans leur peau qui, dès le début, semblent en décalage par rapport à la réalité.
S’ils répètent ensemble la chorégraphie, c’est chacun de son côté qu’ils s’empressent d’aller regarder le téléroman qui leur permet, par procuration, de vivre aventures et émotions. Chacun est seul, renfermé. En parlant de Piscine municipale, ils s’ouvrent un peu, par à-coups, et font quelques confidences. Mais cette ouverture momentanée ne les plonge que plus avant dans la fiction qui envahit leur vie, à travers fantasmes amoureux ou identification avec un personnage, dans une inquiétante négation de leur propre identité. Subjugués par la télévision, ils se soumettent aussi à leur chorégraphe mégalomane et méprisant; une ingénieuse image suggère d’ailleurs ce parallèle.
Les comédiens, en costumes couleur chair et perruques, incarnent des personnages à l’apparence artificielle, presque interchangeables. Au fil des confidences, leur rapport à la réalité apparaît de plus en plus trouble. En témoigne le jeu, plutôt éclaté: brusques changements d’attitudes, ruptures de ton, transformation de l’interprétation. Si le texte, malgré son aspect critique, paraît un peu répétitif dans sa structure, c’est par là que la proposition de Frédéric Dubois et de ses acolytes impressionne: les comédiens vont très loin dans l’interprétation, se métamorphosant sous nos yeux, et poussent de plus en plus les limites du jeu, avec une liberté étonnante et rare. Ils sont tous excellents (Sylvio-Manuel Arriola, Tova Roy, Frédérick Bouffard, Jonathan Gagnon, Frédéric Dubois); soulignons, toutefois, le jeu de Marie-Christine Lavallée, toujours surprenante, celui de Catherine Larochelle et la prestation d’un nouveau venu, Jean-Nicolas Marquis.
Sous des dehors d’humour absurde et de fantaisie, la pièce est sombre: télé rongeant peu à peu la communication, les rapports humains et toute forme d’individualité, pulsions suicidaires, souvenirs et souffrances indélébiles (violence, abus, solitude). Si le malaise que génère la pièce correspond à celui de notre société télévore, il est plus que temps de débrancher…