Patrice Desbiens : Fiction pulpeuse
Scène

Patrice Desbiens : Fiction pulpeuse

De passage à Montréal pour six soirs seulement, le Théâtre du Nouvel-Ontario présente à La Licorne Du pépin à la fissure, un spectacle solo récompensé de nombreux prix depuis sa création en 2000. À l’origine de ce succès, deux textes du poète PATRICE DESBIENS.

Ce qui frappe d’abord quand Patrice Desbiens ouvre la porte de sa petite piaule de la rue Saint-Denis, c’est le visage ravagé du poète, éclairé d’un sourire malicieux. Une bouteille de vin largement entamée trône sur la table. Il se dépêche d’en vider le contenu dans son verre. "Le journal Voir? J’aurais préféré Paris Match, mais enfin… Quand j’ai de bonnes matinées d’écriture, je suis haïssable, j’aime autant vous prévenir…" À 55 ans, Patrice Desbiens n’a perdu ni sa lucidité ni son impertinence, malgré les abus de toutes sortes. À l’occasion de la reprise du solo Du pépin à la fissure, l’auteur nous accueille dans le modeste appartement où il couche ses poèmes sur papier, au coeur d’un édifice rose où, comme il l’écrit: "Ça sent la caméra camouflée / Ça sent la caresse non consommée / Ça sent la cicatrice non caressée".

Publiés en 1995 et 1997, Un pépin de pomme sur un poêle à bois et La Fissure de la fiction ont séduit le metteur en scène André Perrier et le comédien d’origine belge Alain Doom, qui les ont transposés tels quels à la scène, sans en changer un mot. Créé à Sudbury, le spectacle s’est baladé dans plusieurs villes canadiennes avant de s’arrêter au Théâtre La Chapelle, en avril dernier. Le voici de retour à Montréal pour un ultime tour de piste. "Je n’aurais jamais pensé que ça puisse devenir un hit. Comme Paul McCartney avec la chanson Yesterday!" rigole le poète, percussionniste à ses heures.

Sans savoir le sort qui leur serait réservé, ce dernier avait longuement travaillé ses textes, qui ont fait l’objet de cinq ébauches. Durant la rédaction d’Un pépin…, il s’est même mis à la tisane! "Pour écrire sur ma mère, j’ai été obligé d’arrêter de boire, parce que c’est une affaire de mémoire. Fini, les rhum and Coke à 11 heures du matin!" Il y raconte avec tendresse son enfance à Timmins, dans le Nord de l’Ontario, en compagnie de cette femme menue, dont il refuse encore d’accepter la mort. Plus glauque, La Fissure de la fiction met en scène un poète solitaire et alcoolique, incapable d’écrire un roman.

Patrice Desbiens aime lire ses oeuvres dans les soirées de poésie et happenings de toutes sortes. "Je me prépare des petites jokes dans la loge; je suis une espèce de Bob Hope de la poésie…" Mais la théâtralisation de ses écrits le trouble. "Je suis habitué de me mettre à nu sur scène, mais là, c’est comme si quelqu’un montrait au public des photos de moi tout nu!" Lors de la première du Pépin à la fissure, dans son Ontario natale, il a pleuré à chaudes larmes. "Ç’a été très dur, mais très beau en même temps. Alain Doom, c’est un vrai miracle, ce comédien-là! Il est tellement intense. C’est comme si Jack Nicholson interprétait ma poésie!"

Les yeux grands ouverts
Né à Timmins, Patrice Desbiens a bourlingué de village en village avant de déménager à Québec, puis à Toronto, Sudbury et enfin Montréal, il y a une dizaine d’années. Une ville laide, qu’il aurait quittée depuis longtemps s’il n’y avait fait tant d’excès et rencontré ici une fille "douce comme de la soie".

Considéré par plusieurs comme le plus grand poète franco-ontarien, voire un génie, Desbiens demeure méconnu du grand public, qui ignore qu’il est, entre autres, l’auteur de très belles chansons de Chloé Sainte-Marie et Richard Desjardins. "Il vit dans un pays où les griots deviennent des itinérants. Il vit dans un pays où la sagesse couche dehors printemps été automne hiver", écrit-il dans La Fissure.

Un manque de reconnaissance qui ne semble pas le troubler. "Écrire, ce n’est pas une affaire de reconnaissance. On n’est pas des Marc Gagnon, on ne rêve pas de devenir des acteurs! Moi, je joue du drum, mais je ne rêve pas d’être un grand drummer. Je veux juste en jouer parce que j’aime ça, parce que ça m’aide à respirer! Il faut dire ce que l’on a à dire et aimer ce que l’on fait, c’est tout. Des fois, pendant que j’écris, je trouve une phrase et je ris tout haut! C’est très difficile d’expliquer ce que c’est, le travail d’écriture. Les poètes ne prennent jamais de vacances. Il faut être à l’affût, 24 heures sur 24."

Comme le dira Alain Doom dans le spectacle: "L’écriture est une merveilleuse aventure, c’est un National Geographic de l’âme. L’écriture est la recherche du silence, mais ça fait du bruit quand même…"

Du 21 au 30 août
Au Théâtre La Licorne