Peter Batakliev : Le voyage imaginaire
Scène

Peter Batakliev : Le voyage imaginaire

"Peer Gynt, ce n’est pas difficile à monter, c’est impossible!" Heureusement que Peter Batakliev sourit en s’exprimant ainsi, parce qu’on pourrait croire que le comédien et metteur en scène regrette son audace… Avec 12 interprètes, une équipe de concepteurs, quelques marionnettes et de petits, tout petits, moyens, il s’apprête à présenter à l’Usine C une adaptation des rocambolesques aventures autour du monde de Peer Gynt, racontées dans le long poème dramatique du Norvégien Henrik Ibsen. À ses côtés, un équipage qui ne craint pas la houle, dont les comédiens au long cours Gilles Pelletier et Françoise Graton. Coup d’oeil sur une folle aventure.

Peer et Peter sont de vieux amis. Cet être fantaisiste et téméraire, qui a voyagé au pays des trolls et affronté le diable, accompagne en pensées le metteur en scène d’origine bulgare depuis de longues années. Le printemps dernier, Peter Batakliev dirigeait les finissants du Conservatoire d’art dramatique de Québec dans une adaptation de l’oeuvre où ils donnaient la réplique à des marionnettes miniatures. En résidence de création à l’Usine C avec une équipe entièrement renouvelée (seul le comédien Alexandre Morais est de retour), il pousse plus loin sa recherche, explorant cette fois les jeux d’ombres.

Le grand gaillard ne s’étonne pas que Peer Gynt ait fait l’objet d’une seule production au Québec, au TNM en 1991. "Cette oeuvre est très rarement montée parce qu’elle n’a pas été écrite pour le théâtre." Imaginée en 1867, cette pièce fantaisiste et philosophique raconte la vie d’un homme ambitieux, qui quitte les montagnes nordiques et s’enrichit aux quatre coins du monde, entre autres en vendant des esclaves. "Toute la pièce est bâtie autour d’une grande interrogation: qu’est-ce que cela veut dire, être soi-même? Ce conte pose de grandes questions existentielles et philosophiques."

Peer Gynt serait fait de la même étoffe que Hamlet, Don Quichotte et Faust, selon le metteur en scène. Dans son adaptation, il est attendu par deux fossoyeurs – un clin d’oeil au chef-d’oeuvre de Shakespeare -, qui nous racontent sa vie mouvementée. Trois comédiens se glisseront dans la peau de l’excentrique voyageur, observé à différents moments-clés de sa vie.

Peter Batakliev tenait à unifier le jeu de ses 12 apôtres. "C’est le travail du metteur en scène de s’arranger pour que des gens très différents, venant de toutes sortes d’écoles, soient réunis par une même façon de jouer. J’aime les comédiens et je veux qu’ils se sentent bien sur scène. Je peux facilement repérer un interprète qui est inconfortable. L’acteur grandit grâce à ses rôles, aussi ai-je voulu donner un défi à chacun."

Qui Peer gagne
Fasciné par l’interprétation, Peter Batakliev n’aurait peut-être jamais découvert les plaisirs de la mise en scène… sans son accent slave, qui le confine trop souvent aux rôles de vilains communistes. "Si je fais de plus en plus de mises en scène, c’est pour combler mon besoin de théâtre, même quand je ne peux pas jouer." Diplômé de l’Académie nationale de théâtre et de cinéma de Sofia, Peter Batakliev fuit son pays à 28 ans, pour refaire sa vie au Canada. Il atterrit alors à Terre-Neuve, puis déménage à Toronto, où il apprend consciencieusement l’anglais avant de rencontrer une Québécoise… et de tout reprendre à zéro, en français cette fois. Heureusement, il s’illustre rapidement sur les scènes montréalaises, dans l’une ou l’autre de ses langues d’adoption.

Il faut dire que le directeur du Théâtre Décalage ne manque pas d’audace, ni de magnétisme. Ainsi, il s’est rendu chez Gilles Pelletier et l’a convaincu, ainsi que sa femme Françoise Graton, de se lancer dans l’ambitieuse aventure de Peer Gynt. Quand des subventionneurs ont refusé d’appuyer le projet, ce sont les comédiens qui ont insisté pour continuer, peu importe le cachet…

Cet automne, il testera ses dons d’orateur auprès d’un nouveau public: les étudiants de l’École nationale de théâtre du Canada. "La pédagogie théâtrale m’intéresse beaucoup. J’aime les questionnements, surtout quand je n’ai pas les réponses. Mon objectif est d’apprendre aux comédiens à ne pas se réfugier derrière un texte." Il pourra enfin mettre un terme à son "époque peergyntienne", comme il la nomme, pour passer à autre chose. "Je dois commencer à l’École le lendemain de la première de Peer Gynt. Mais j’ai demandé à la directrice si je pouvais prendre congé, juste pour un jour…" Une Peer mission spéciale, déjà?

Du 2 au 13 septembre
À l’Usine C
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