Charles Berling : Le Prince Charles.
La saison s’amorce en grand au Théâtre du Nouveau Monde, où l’acteur CHARLES BERLING interprète Hamlet dans une ambitieuse coproduction franco-québécoise. Un événement.
À l’écran, la beauté inquiétante de Charles Berling lui confère quelque chose d’insaisissable, de trouble, de louche. Très en demande, l’acteur aux mille visages aura été séducteur, amant largué, manipulateur, désaxé, machiavélique, cynique ou naïf dans une trentaine de films en moins de dix ans (dont Ridicule, Nettoyage à sec, L’Ennui et Ceux qui m’aiment prendront le train). Rencontré dans les locaux du Théâtre du Nouveau Monde, le comédien au regard pénétrant se révèle loquace, fonceur et obstiné. Grâce à cette ténacité, il réalisera cet automne son grand rêve, celui d’incarner le prince du Danemark dans le classique de William Shakespeare. Un Hamlet "populaire", tient-il à préciser, dont les interrogations métaphysiques résonneront d’abord au Nouveau Monde, puis en tournée dans les vieux pays.
Malgré son intense activité cinématographique, Charles Berling n’a jamais délaissé la scène, où il a découvert le plaisir de jouer à 15 ans. Né en 1958, ce fils de médecin démontre rapidement qu’il est aussi à l’aise chez Molière que Koltès et se coule dans une trentaine de rôles tout en douceur, en s’effaçant derrière les pièces qu’il porte. Une belle leçon d’humilité de la part d’un interprète polyvalent, heureux d’avoir connu une lente maturité. À 45 ans, Charles Berling est un acteur renommé mais pas encore une star, ce qui lui plaît. Enfin, dit-il, il a atteint l’âge idéal pour incarner Hamlet, le prince du doute.
Depuis plus de quatre ans, Berling et le tandem de metteurs en scène d’opéra et de théâtre Moshe Leiser et Patrice Caurier préparent leur Hamlet. Pour obtenir le financement nécessaire, ils réunissent plusieurs producteurs, dont la directrice du TNM, Lorraine Pintal, que Berling a croisée sur le tournage de Stardom. "Cette coproduction était essentielle parce que le théâtre coûte cher, même quand on dépense peu." Ils recrutent une équipe incroyablement talentueuse, composée des Québécois Gabriel Arcand, Isabelle Blais, Denis Lavalou et Gabriel Sabourin – en remplacement de Paul Ahmarani, qui s’est éclipsé pour des raisons de santé – et des Européens Marc Bodnar, Christiane Cohendy (la Clytemnestre de L’Orestie, joué au TNM en 2000), Roland Depauw, Maurice Deschamps, Cédric Dorier, Rachid Hafassa, Jean-Marie Winling.
Tout ce beau monde se donne rendez-vous à Paris cet été, pour un sprint d’un mois et demi de répétitions. En pleine canicule. "Cette pièce m’habite depuis très longtemps et pourtant, pendant ces répétitions, je me suis constamment surpris. Comme un oeuf dans la poêle! La chaleur n’a fait qu’augmenter l’aspect braisé de la pièce. Cette oeuvre, c’est de la braise, elle vous met en fumée! Je suis vraiment très heureux de ce qu’elle m’apporte", se marre notre joyeux Hamlet.
Être étonné est l’un des grands bonheurs de ce comédien au parcours éclectique. "C’est une pièce qui a sûrement surpris Shakespeare lui-même! Je pense qu’elle peut aider à comprendre le rapport qu’on entretient avec le monde, avec sa violence et sa lumière. Cela dit, la version qu’on fabrique ne sera pas du genre romantique, avec un Hamlet luxueusement déprimé dans la solitude de son château… C’est plutôt une version moderne, dont le décor fait de bric-à-brac est à l’image du chaos actuel."
L’acteur est convaincu qu’Hamlet est une grande pièce populaire, accessible, sans être simpliste. "Tout le monde a du mal à agir et dévie ses violences." Vrai que l’histoire racontée est en apparence limpide: Hamlet feint la folie afin de pouvoir venger son père le roi, assassiné – selon les dires du fantôme du père – par son propre frère. Chemin faisant, il hésite, et c’est là que la poésie s’installe. Pour tenter de percer les secrets de cette tragédie aux échos intemporels, le comédien a longuement discuté avec le traducteur Jean-Michel Déprats. "Cette pièce n’est pas intelligente, elle est géniale. Donc, à partir de là, il faut laisser le texte nous imprégner, faire son chemin, en prévision du choc des répétitions."
Les cousins d’abord
Arrivé au Québec depuis peu, impatient d’aller se balader dans le chaos de New York, l’énergique Berling ne tarit pas d’éloges envers ses complices québécois. Celui qui a tenu dans ses bras de magnifiques actrices, dont Chloë Sévigny, Laetitia Casta, Emmanuelle Béart, Mathilde Seigner et Fanny Ardant, s’enflamme lorsqu’il est question de son Ophélie, l’exquise Isabelle Blais, révélée par Les Invasions barbares. "Elle est fantastique, vraiment une très belle actrice! C’est un phénomène, elle est très, très douée! Quant à Gabriel Arcand, il est très particulier et très attachant. Son Claudius risque de surprendre. Les acteurs québécois ont une culture anglo-saxonne plus poussée que la nôtre, très utile pour comprendre le grand auteur élisabéthain."
En 2001, les cinéphiles ont pu se régaler des performances de Charles Berling dans quatre films; l’an dernier, c’était trois. Malgré cette frénésie de tournages, l’acteur n’oublie pas son vieil (et pauvre) ami le théâtre. "Cela m’est indispensable, reconnaît-il. Peu importent les conditions, on s’en fout. Quand on est amoureux, on coucherait n’importe où! Le théâtre ramène à l’essentiel. J’adore le cinéma, mais il s’enfle trop d’un côté ou de l’autre. C’est soit trop d’honneurs, soit trop d’humiliations. Le théâtre est moins perfide envers l’acteur, il est plus franc. Et il donne l’occasion de côtoyer des génies comme Shakespeare et de se mesurer à leurs écrits."
"Il ne faut jamais oublier que la pièce est plus importante que l ‘acteur, le metteur en scène ou l’auteur, ajoute le volubile interprète. L’histoire est plus forte que tout. C’est pourquoi je suis fier quand on me dit: tiens, je ne t’avais pas reconnu… Cela veut dire que j’ai rempli mon rôle d’acteur. Il faut être transparent, que les rôles soient devant vous, vous supplantent, vous mangent, vous dévorent. Vous êtes du combustible à rôles, c’est tout. Il ne faut pas vouloir exister plus que de raison. Et c’est bon, d’ailleurs, de s’oublier… C’est comme être amoureux: on a envie de s’enfoncer dans l’autre, de devenir cette personne." D’une voix douce, il insiste: "Moi, je vois le théâtre et le cinéma exactement comme une relation amoureuse."
Où est Charlie?
Ce mois-ci, l’infatigable acteur est partout. D’abord au TNM, dont il attend la première avec "beaucoup de peur mais aussi de désir", puis à l’écran, deux fois plutôt qu’une.
Ses fans ont pu le voir dans Le Soleil assassiné, d’Abdelkrim Bahloul, présenté au FFM les 31 août, 1er et 2 septembre derniers. Un film dont le tournage a été douloureux, révèle Berling, et qui n’a pas encore trouvé de distributeur québécois. "C’est une histoire très importante, parce qu’elle concerne les rapports entre la France et l’Algérie, un sujet qu’on illustre peu et dont on a peur."
Il joue aussi dans la première réalisation de Michel Boujenah, Père et fils, une coproduction franco-canadienne mettant en vedette Philippe Noiret et Marie Tifo. Un film drôle, attachant et authentique sur un papi de 70 ans et ses trois fils, qui connaît du succès dans les cinémas français, selon le comédien. "Je trouverais désespérant que seuls les projets formatés, qui ont comme unique ambition de faire de l’argent avec des recettes éculées, aient la faveur populaire. Des projets comme Père et fils, qui sont risqués et qui se font une place, eh bien, ça me fait drôlement plaisir. Surtout lorsque j’y participe."
Tu parles, Charles…
Du 9 septembre au 5 octobre
Au Théâtre du Nouveau Monde