Reynald Robinson : Simplicité volontaire
La saison s’amorce au Théâtre d’Aujourd’hui avec Blue Bayou, la maison de l’étalon, une tragédie pétillante écrite par un fin observateur qui déniche ses personnages autour de lui, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Rencontre avec REYNALD ROBINSON, un amateur de country fasciné par les drames ordinaires.
Reynald Robinson est un jeune auteur de 52 ans. Professeur, acteur et metteur en scène doué, il a longtemps fui la douleur de l’écriture, ce qu’il avoue avec un large sourire. Fasciné par ses semblables, et plus particulièrement par les personnages qu’il observe dans son quartier, Hochelaga-Maisonneuve, cet homme sensible a fini par plonger, sans reprendre son souffle depuis. Après La Salle des loisirs et L’Hôtel des horizons, Reynald Robinson clôt son premier cycle dramatique avec Blue Bayou, la maison de l’étalon, une comédie cruelle où de drôles de bêtes ruent dans les brancards.
La parole est au coeur des trois créations pour adultes de ce Gaspésien d’origine, qui a écrit plusieurs pièces pour enfants, dont La Langue du caméléon et Boléro. Tout juste arrivé de Québec où il répète un rôle dans la pièce HA! ha!… de Réjean Ducharme, le sympathique Reynald Robinson confie que ses deux premières créations lui ont permis de se décharger de préoccupations très intimes par rapport à sa famille, ses rêves et sa génération. Pour Blue Bayou, créée au Théâtre du Bic à l’été 2002, les choses se sont passées autrement.
"Tout d’un coup, j’ai ressenti une espèce de montée de panique, de crainte. Je me suis dit: j’ai 50 ans, qu’est-ce que je vais faire avec toutes ces personnes que j’ai connues, observées, et qui vivent maintenant en moi? Qu’est-ce que je vais faire de toutes ces vies? J’étais en état d’urgence, il fallait que j’écrive quelque chose!" Il tire de ses souvenirs quatre créatures hautes en couleur, pour lesquelles il invente autant de drames bouleversants, en écoutant à répétition la chanson Blue Bayou, de Roy Orbison. La charpente de sa "maison de l’étalon" est en place…
Reynald Robinson ajoute avoir enfanté ces perdants qui s’interrogent sur la valeur de leur vie en réponse à une universitaire qui lui a pompé l’air avec cette drôle de question: Pourquoi vous préoccupez-vous tant des petites gens, alors qu’au théâtre, on a besoin de grands personnages, d’êtres édifiants? "Pour moi, l’important, c’est que le lendemain, les spectateurs jettent un regard différent sur les gens dans la rue, qu’ils aient compris que ces êtres anonymes méritent eux aussi d’être vus et écoutés dans leurs petits drames, aussi douloureux que celui d’Ulysse."
C’est que notre homme a un petit côté missionnaire. À 30 ans, il s’est même demandé s’il ne ferait pas mieux d’aller creuser des puits en Afrique… avant de comprendre que l’art peut aussi changer le monde. "Je n’ai jamais eu d’ambition dans la vie, lance-t-il avec conviction. Ce qui compte, c’est d’aider les autres à vivre. Durant les représentations de L’Hôtel des horizons, je recevais de 10 à 12 appels par jour de spectateurs me remerciant d’avoir écrit cette pièce! C’est merveilleux de savoir que des gens ont leur petite rédemption devant ma pièce, qu’elle leur apporte quelque chose."
Hennissements du coeur
Dans Blue Bayou, la maison de l’étalon, Solange, Gabriel et Claude font passer un mauvais quart d’heure à Renaud, un étudiant en théâtre embauché comme lecteur à domicile, qu’ils obligent à écouter le récit de leurs vies tragiques, et pourtant si banales… Des drames intimes que l’auteur a couchés sur papier avec une certaine réticence. "C’est dangereux d’écrire. Si quelqu’un dit dans le journal que je suis pourri, ce n’est pas juste moi qui le suis, mais aussi les personnages que j’ai tirés de mon monde intérieur et que j’aime comme s’ils étaient mes enfants. Je prends le risque d’être meurtri."
Pour se faciliter la tâche, Reynald Robinson déniche chaque fois une chanson-thème, qui lui permet de se plonger instantanément dans l’atmosphère de la pièce en chantier. Cette fois, il s’est laissé charmer par l’interprétation de Blue Bayou de Linda Ronstadt, pour le romantisme, la simplicité et l’absence de pudeur émotive du country. "Une pièce de théâtre, c’est une bulle, résume celui qui passe ses voyages Québec-Montréal à chanter à pleins poumons. Le spectateur doit pouvoir y entrer rapidement, et se laisser porter par l’histoire." Pour souffler cette bulle, le Théâtre les gens d’en bas a recruté le prolifique metteur en scène Éric Jean et les comédiens Stéphane Breton, Anne-Sylvie Gosselin, Éric Paulhus et Paul Savoie, tous de retour au Théâtre d’Aujourd’hui.
Des complices précieux, dont la confiance fait briller les yeux du "jeune" dramaturge. "Il faut que ce soit clair: moi, je ne cherche pas l’amour des autres. S’il y a une chose que je déteste entendre, c’est que les comédiens ont besoin d’amour. Ça m’horripile, s’emporte-t-il. De l’amour, j’en ai en masse. Ce que je veux, c’est qu’on m’estime! Je souhaite qu’on reconnaisse que j’ai une place, que je fais mon métier honnêtement, sans prétention. Et tant pis si la madame de l’université est fâchée parce que je m’intéresse aux gens ordinaires, parce que je sais qu’elle ira voir mes pièces, ce qui veut dire qu’au fond, elle m’estime…"
Du 9 septembre au 4 octobre
Au Théâtre d’Aujourd’hui