HA ha!… : Le maître du jeu
Scène

HA ha!… : Le maître du jeu

Près de 40 ans après la parution de L’Avalée des avalés, le mystère entourant RÉJEAN DUCHARME ne s’est pas dissipé. Si l’auteur invisible se livre peu, il en va parfois de même de ses oeuvres. HA ha!…, à chaque détour, étonne et intrigue FRÉDÉRIC DUBOIS, metteur en scène, et ses  interprètes.

Créée en 1978 par Jean-Pierre Ronfard, HA ha!… présente deux couples: Sophie (Lorraine Côté), très colorée, qui veut avoir du phone, (lire fun), et Roger (Reynald Robinson), pseudo-poète décadent; Bernard (Yves Amyot), alcoolique brillant mais raté, et Mimi (Marie-Christine Lavallée), sensible et névrosée. Dans un appartement mêlant confort et mauvais goût, ils s’amusent, font la fête, comme si la vie n’était – ou ne devait être – qu’un party absurde et obstiné. Certains mènent la foire, d’autres la subissent, en un jeu à la fois drôle et malsain, le tout créant, comme l’écrit Ducharme, "une pièce comique pas si drôle que ça". L’auteur s’y moque du théâtre et des jeux de la vie quotidienne. Dernière des quatre pièces écrites par Ducharme, HA ha!… constitue, selon Ronfard, "l’une des grandes oeuvres de la dramaturgie contemporaine".

Le jeu
Frédéric Dubois, depuis longtemps, rêvait de monter HA ha!… "Plus je travaille, plus je me rends compte de l’intérêt de présenter la pièce aujourd’hui. Pour moi, HA ha!…, c’est une image de notre société: c’est une pièce sur la sur-consommation, matérielle et émotive. Les personnages n’ont aucun respect pour ce qui les entoure; tout est consommé rapidement, et jeté. Tout le monde a sa définition du fun et se fiche des autres. C’est une espèce de désespoir, et un individualisme assez terrible. C’est aussi le Québec qui se cherche. Pour moi, c’est vraiment une oeuvre prémonitoire."

Sous ses dehors comiques, HA ha!… grince. "Au départ, confie Lorraine Côté, je trouvais ça très drôle, très ludique. En faisant du travail de table, j’ai compris que c’était plus compliqué que ce que j’avais d’abord vu, beaucoup plus glauque. Mon personnage, Sophie, semble s’amuser tout le temps. C’est vrai; mais ce qu’il y a en-dessous, c’est effrayant. Elle est beaucoup plus malheureuse que ce que j’avais vu au départ. Ces personnages sont incapables de vivre normalement. Il faut toujours que ce soit drôle, il faut toujours qu’on soit comme au-dessus de la vie. Et ils finissent par se détruire complètement avec ces jeux-là. Parce qu’ils sont toujours faux, et quand ils essayent d’être vrais, ils se font piéger."

L’irrationnel
Frédéric Dubois n’en est pas à son premier Ducharme. En 1999, il montait, avec le Théâtre des Fonds de Tiroirs, Le Cid maghané, repris en 2001. On pourrait croire que ce travail l’a préparé à la mise en scène de HA ha!… "Sérieusement, là? Non", lance-t-il.

Texte plutôt éclaté, accumulant les couches de sens, HA ha!… pose des difficultés d’interprétation. "Il est vraiment déroutant, monsieur Ducharme. On ne sait pas toujours comment l’aborder. C’est comme si la pièce comportait des pièges. Des fois, tu choisis une piste de travail et, à la scène suivante, elle se fait démolir. C’est un paradoxe, Ducharme: quand tu penses que c’est une chose, c’est le contraire, et quand tu vas dans le contraire, tu reviens à ce que c’était."

La solution? Chercher, bien sûr, mais surtout jouer. La pièce fonctionne un peu comme un poème qui aurait sa logique interne, une logique de l’irrationnel. "Il ne faut pas trop réfléchir la scène. Il faut aller dans le jeu, et là ça prend sens. C’est la seule solution: le jeu amène le jeu, et donne des réponses."

Avec les comédiens, le metteur en scène a donc cherché, essayé, recommencé, chacun trouvant, tour à tour, un éclairage, un sens. "C’est assez déjanté, avance Lorraine Côté. Mais ceux qui voient la pièce disent que c’est extrêmement clair. Nous autres, on ne comprend pas toujours, mais le public comprend; comme si des fois on ne voyait pas ce que tout ça donne. Mais Ducharme, même s’il sait ce qu’il fait, et que c’est très travaillé, est aussi, je pense, un auteur de l’inconscient."

La liberté
Pour toute l’équipe, HA ha!… représente une étape importante. Pour Frédéric Dubois, c’est un moment d’apprentissage: par le travail sur un texte qui amène "réflexions et doutes"; par la direction, pour la première fois, "d’acteurs qui ont 25 ans de métier dans le corps. Tout ça est très déroutant: mais c’est parfait, ça me brusque. J’ai vraiment l’impression de faire une école en ce moment. Et ça donne un spectacle très vivant, très éclectique, très hétérogène, très éclaté".

Pour Reynald Robinson, aborder Ducharme, c’est rencontrer un nouveau monde. "Honnêtement, le monde de Ducharme n’est pas du tout dans mes cordes. Quand j’ai accepté le rôle, je sentais le besoin d’avoir quelque chose de désordonné dans ma vie, d’avoir accès à une autre bulle. Ça m’a apporté beaucoup: un libre accès à une folie, à quelque chose d’irrationnel. Ce qui me surprend, c’est que l’irrationnel peut avoir un impact, un sens chez le public. C’est insécurisant, mais en même temps c’est un petit peu agréable. Tu joues sur d’autres plans, tu découvres une autre façon de fonctionner dans la vie. Avoir un peu de folie ou de désordre, ça n’empêche pas que les autres personnes puissent faire leur ordre et organiser ma folie. Ce n’est pas à moi à le faire totalement. Ça, pour moi, c’est révélateur, et assez nouveau."

Lorraine Côté, quant à elle, joue son premier Ducharme. "Je trouve que Ducharme a un sens de la réplique fantastique. C’est vraiment agréable à dire; des fois c’est presque de la poésie à cause des rimes, de la musicalité. Même s’il y a des questions, des incertitudes, j’aime beaucoup ça, parce qu’on est libres. C’est sûr que ça pourrait être une liberté qui fait peur. Ça dépend comment chacun est fait; moi, j’avoue que ça me stimule, ça m’amuse énormément.."

Peut-on imaginer la réaction du public? "Je suis sûr que la réaction va être bonne, affirme Frédéric Dubois. Il y a quelque chose de tellement proche de nous, de quotidien: l’épicerie, j’ai besoin d’affection, les engueulades, j’ai lâché ma job, j’t’aime, j’t’aime pas… Et puis cette langue, qui est si vivante, qui est tellement la nôtre et qui en même temps est toujours menacée. HA ha!…, c’est un long poème. En plus, c’est du jeu, c’est comme un enfantillage. On ne parle pas pour vrai. C’est une langue réinventée; dans ce temps-là, tu es obligé de réinventer le monde."

Frédéric Dubois, assisté de Jean Bélanger, travaille avec les concepteurs Michel Gauthier, Yasmina Giguère, Denis Guérette, Élène Pearson, Pascal Robitaille.

Du 16 septembre au 11 octobre

Au Grand Théâtre
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