Jane Mappin : La mémoire dans la peau
Depuis déjà quelques semaines, nous avons ressorti nos ""p’tites laines"", cotons ouatés, coupe-vent… Finies les soirées oxygénantes d’été, passées à la belle étoile; le temps est venu de retourner au confort des salles de spectacles intérieures.
C’est dans cet esprit que le Studio de l’Agora de la danse nous accueille pour son début de saison automnale avec Cinq voix, cinq visages, de Jane Mappin. Une création multidisciplinaire alliant danse, cinéma, littérature, musique et chant. De nos jours, on ne se pose plus de questions lorsqu’un artiste décide de créer une oeuvre multidisciplinaire. C’est presque devenu chose commune. Toutefois, la chorégraphe d’origine montréalaise a choisi une voie fort intéressante pour unifier sous un même thème ce mélange des genres: la mémoire.
"L’idée de cette pièce est venue d’une petite histoire inusitée que ma fille et moi avons vécue ensemble, alors qu’on était à la campagne, me confie-t-elle. Antonia se tenait au bout du quai, en bordure du lac où je me baignais. Elle me regardait nager. Puis, à un certain moment, je me suis éloignée sans trop m’en rendre compte, car j’étais prise dans mes pensées. J’étais tout simplement bien. Je me suis retournée, par réflexe, pour lui envoyer la main. Et là, j’ai été surprise par son regard inquiet. J’ai eu l’étrange impression, pour un instant, d’être elle… ou plutôt qu’elle était moi, toute jeune, en train de contempler mon avenir… comme inquiète qu’il ne disparaisse subitement. J’en ai eu des frissons de pouvoir sentir avec autant d’intensité les liens charnels nous unissant. Ce fut comme un moment hors du temps, et l’amorce d’une réflexion sur le rapport entre mémoire et subjectivité. Car nos enfants sont porteurs de notre mémoire collective. Mais c’est aussi la mémoire de leur propre passé qui formera leur subjectivité en devenir."
Pour cette oeuvre, Jane Mappin s’est ainsi inspirée de l’univers poétique des enfants. Mais un contraste a été établi avec celui-ci par l’intermédiaire de textes écrits par l’homme de théâtre Serge Ouaknine. "En effet, m’explique-t-elle, quand Serge est arrivé avec ses textes, j’ai un peu fait le saut, car ça parlait des insectes. Ça me paraissait un peu froid. Et je me demandais quel lien cela pouvait avoir avec la poésie des enfants, la mémoire et tout le reste. C’est quand on les a intégrés à la pièce que ça a pris un sens intéressant, le côté strictement fonctionnel des bibittes créant un contraste étonnant avec le monde ludique des enfants. Aussi, ce sont des textes très provocateurs, car les insectes sont en fait un prétexte pour parler du monde des chorégraphes et des critiques d’art. Ça devient alors assez surprenant d’entendre et de voir sortir ces phrases de la bouche des enfants."
On retrouve donc sur scène cinq interprètes adultes (Irène Galesso, Sophie Janssens, Mathilde Monnard, Chanti Wadge et Jane Mappin) doublées de cinq jeunes filles d’environ sept ans (Ophélie Dubois, Clémentine Labrecque, Antonia Mappin-Kasirer, Giulia Pool et Béatrice Thompson-Merrigan). Afin de créer la gestuelle pour cette pièce, la chorégraphe est également partie de l’histoire individuelle de chacune des interprètes adultes. "Je leur ai demandé qu’elles me parlent de leur vie. De cette façon, elles m’ont livré une petite partie d’elles-mêmes… de ce qui forme leur subjectivité. C’est fascinant de voir comment les autres se dévoilent à nous à travers leurs petites histoires ou anecdotes."
Ces 10 sujets féminins seront accompagnés sur scène par deux musiciennes-chanteuses: Sandra Luciantonio et Claude-Marie Landré. Cette dernière s’est donné comme défi de composer la musique du spectacle. Une première expérience, qui s’annonce réussie, l’extrait que j’ai eu le plaisir d’entendre lors d’une répétition m’ayant rapidement convaincu de sa pertinence.
D’autre part, des projections cinématographiques conçues par les cinéastes Bernadette Houde et Joel Taylor compléteront la scénographie visuelle. Nous pourrons y voir des scènes ayant été filmées lors du processus de création, mais aussi quelques images d’insectes tirées du prochain film de Léa Pool, Le Papillon bleu – un film à l’intérieur duquel on retrouvera d’ailleurs une petite chorégraphie de Jane Mappin.
Quand on demande à la chorégraphe ce que la présence des enfants a apporté à sa création, elle répond sans hésiter: "Une grande spontanéité… Je crois que ça influence beaucoup l’énergie et l’ambiance générale du spectacle."
Du 17 au 20 septembre
Au Studio de l’Agora de la danse