Marcel Pomerlo : Victoire sur la peur
Scène

Marcel Pomerlo : Victoire sur la peur

Créé au MAI l’an dernier, L’Inoublié ou Marcel Pomme-dans-l’eau: un récit-fleuve avait ravi par sa qualité littéraire et scénique. Pour notre bonheur, La Licorne reprend la pièce du 4 au 27 septembre. Marcel Pomerlo, auteur et interprète de ce solo, est l’un des fondateurs de Momentum, qui coproduit le spectacle avec La Manufacture. Si on l’a vu dans de nombreuses productions au TNM, au NTE ou à l’Espace Go, cet acteur atypique est également directeur artistique du Festival de Trois, en plus d’avoir monté Je suis mémoire / Je suis avenir au Marché de la poésie de Montréal et au Cabaret littéraire de la Place des Arts. Ce n’est donc pas un hasard, le côté poétique de cette auto-fiction qui rappelle le travail littéraire d’Annie Ernaux, de Geneviève Robitaille ou même de Patrice Desbiens, par sa candeur. Grâce à Dominique Leduc, sorte de conseiller spécial appelé "l’Oil extérieur", Pomerlo a pris la distance nécessaire pour mener à bien ce projet risqué: incarner un soi morcelé, qui cherche à renouer avec un passé trouble.

Assis sur des chaises disparates des années 60, on observe les lampes kitsch des sous-sols de banlieue de l’époque, les tableaux de la peintre et comédienne Claire Jean, savamment disposés entre photos et pochettes de disques K-Tel, et le calendrier de l’épicerie familiale Pomerleau et fils (Pomerleau et fif, dira plus tard le comédien). Et là s’avance Marcel, affublé d’un manteau de ces années criardes, chaussé de "gougounes à la Rossy". Est-ce Michèle Richard qu’on entend en fond? Probablement. Un univers se dévoile au fil des questions qu’il nous sert en entrée, dans lequel défilent des artistes de variétés, des Coco le clown, des May West ou des morts: Bobino, Dame Plume et Gobelet. La mort de Luc Durand, d’ailleurs, survenue le lendemain d’un accident mortel dont M.P. a été témoin, fait basculer le récit dans l’enfance.

S’ouvre ici un douloureux chapitre, celui de la perte de Momo, son frère Maurice, mort il y a plus de 20 ans dans un accident de voiture. On est alors saisi par ce "Cri de Munch", cri inaudible appuyé par l’éclairage juste et efficace de Lucie Bazzo. Pomerlo sait passer de l’humour au tragique avec adresse. Il lie des fragments de vie disparates avec une cohérence époustouflante. Il utilise tous les objets scéniques, de la petite valise Air Canada à la patère, et ces pots d’eau, au sol, symbolisent tantôt les bains publics du samedi soir au YMCA de Québec, tantôt les lacs que creusaient son père et son grand-père. Ils soulignent aussi, passifs, le cycle éternel de l’eau. La maîtrise du corps et de la parole et la sobriété du jeu font de ce modeste spectacle, composé d’instants de grâce, une réconciliation avec les origines, avec le destin, avec l’inavouable. C’est une victoire sur la peur. La pudeur, l’humilité, la juste dose d’intimité avec lesquelles Pomerlo raconte ses peurs et son passé portent l’oeuvre vers l’universel. Baigné des éléments sonores d’Éric Forget, habilement ponctué de narrations enregistrées et de chansons populaires, mais surtout magistralement interprété par Marcel Pomerlo, L’Inoublié impressionne. Beaucoup.

Du 4 au 27 septembre
Au Théâtre La Licorne