Yannick Jaulin : A beau mentir…
Scène

Yannick Jaulin : A beau mentir…

Yannick Jaulin s’est pointé au rendez-vous avec une énorme valise, comme s’il venait tout juste de poser les pieds hors de l’avion. À Montréal depuis deux jours, il se balade avec ses accessoires, semble-t-il. "Je suis arrivé avant-hier et les représentations commencent demain", amorce d’un ton joyeux le conteur français, débarqué au Quat’Sous à l’invitation de son ami Wajdi Mouawad pour y présenter son spectacle solo Menteur. Tout sourire malgré l’heure matinale, le visiteur s’emballe lorsqu’il est question de son dada: les bobards. "Le mensonge est à la base de l’humanité. C’est ce qui différencie l’homme de l’animal", lance avec conviction ce menteur venu de loin.

Impossible d’oublier le précédent passage de Jaulin au Quat’Sous: la première médiatique de J’ai pas fermé l’oeil de la nuit avait eu lieu un certain… 11 septembre 2001. L’idée de rendre hommage aux Pinocchios de ce monde lui est venue d’ailleurs durant les représentations de cet hommage à la mort. "Il y était question des habitants d’un village qui partaient en emportant tout, sauf le cimetière, pour marcher vers un bonheur illusoire. Je me suis demandé: c’est quoi ce bonheur vers lequel on marche toujours? C’est quoi ce mirage, là-bas, au bout? On dit qu’un mirage, c’est un désir projeté loin devant soi, qui donne envie de marcher. J’aime cette définition." Puis Jaulin a rencontré un touriste chinois dans le désert, qui l’a bien fait rigoler. "Il exigeait de voir un mirage!" Il s’est alors lancé à la chasse aux illusions, traquant les mensonges, qu’il considère comme "la matière première, concrète", à l’origine des mirages.

Yannick Jaulin a l’habitude de prêter l’oreille aux histoires extraordinaires des gens ordinaires, qu’il amasse lors de "veillées de collecte". "Il existe divers types de menteries. Il y a le mensonge vicelard, à la manière d’un George Bush qui va manipuler le monde avec des intentions de voleur, et il y a le mensonge du mythomane, qui est quelqu’un qui ne s’aime pas." En rigolant, Jaulin donne en exemple "la mythomane de bureau", qui tente de se rendre intéressante en s’inventant un mari et un enfant tués dans un télescopage d’avion et de paquebot! "Moi, ce que j’aime bien, c’est le mensonge qui est entre les deux. Je pense qu’il y a un espace pour le beau mensonge, pour l’histoire inventée qui fait rêver."

Yannick Jaulin a fait ses débuts sur scène dans un groupe rock. "Les gens me disaient: tu sais, les histoires que tu racontes entre les chansons, c’est drôlement bon! Alors j’ai arrêté de chanter…" Pour mieux y revenir dans Menteur, accompagné sur scène du claviériste et percussionniste Camille Rocailleux. "Je revendique l’appellation de conteur, mais je suis aussi un comédien et un chanteur. Il y a dans le spectacle des chansons et des bouts de danse. Il y a même un rap à propos d’un mystique qui voyait des symboles phalliques partout! Ça prend des allures de comédie musicale", blague-t-il. Sur scène, Yannick Jaulin joue son propre rôle, celui d’un conteur en quête de boniments. "Je suis venu travailler en janvier dernier avec Wajdi Mouawad, qui a vraiment un sens du récit incroyable. Il m’a aidé à remettre le spectacle à l’endroit. J’ai l’habitude de travailler en équipe, avec le metteur en scène Frédéric Faye et une poignée d’auteurs, qui m’ont mis cette fois sur la piste de quelques grands mensonges de l’humanité, que je traite à ma manière."

Après avoir présenté son Menteur dans une trentaine de villes françaises, Yannick Jaulin espère pouvoir organiser des veillées de collecte dans la Belle Province. "Cela me plairait beaucoup, parce que je viens d’un coin de la France où il y a une tradition orale très forte, comme chez vous, avec des restes de dialecte qui enrichissent la langue. Moi, ce n’est pas l’exotisme des Québécois qui m’intéresse, mais la richesse de vos images et de la langue que vous parlez. Devant la force d’évocation des mots, je jubile!"

Vieil ami de Michel Faubert, impressionné par les conteurs qu’il a vus à l’oeuvre au Québec, Yannick Jaulin revendique le droit de regarder vers l’avant. "Moi, la nostalgie et le folklore, ça me fait chier au boutte!" lance-t-il, tout fier d’avoir si rapidement appris quelques expressions bien d’ici… "J’apprécie les contes lorsqu’ils revivifient des symboles nécessaires à l’humanité, qui nous relient à nous-mêmes et à la société qui nous entoure. Quand cela se produit, le conte devient subversif et vachement puissant!"

Jusqu’au 20 septembre
Au Théâtre de Quat’Sous
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