Blue Bayou, la maison de l’étalon : Poussière d’étoiles
Tout est là. Il suffit d’entrer dans la proposition, pour le moins inquiétante. Un décor d’ancienne écurie reconvertie (à peine) en maison, et les mots de Roy Orbison, "The silver moon and the evening tide / Oh, some sweet day, I’m gonna take away / This hurting inside", qui hantent les personnages et qui reviennent sans cesse nous imprégner par leur accent blues et country. Renaud, jeune étudiant en art dramatique, est engagé par Gabriel, un invalide, pour lui faire la lecture à domicile. Dans cette tragédie de l’ordinaire, deux autres perdants magnifiques se joignent à eux, Claude, "le nul", et la vaporeuse et impudique Solange qui joue à jouer le vrai. Pour le jeune Renaud, interprété très justement par Éric Paulhus, le petit boulot à 5 $ l’heure aux allures de cauchemar se révélera, finalement, un rite initiatique.
Blue Bayou, la maison de l’étalon, présenté au Théâtre d’Aujourd’hui, c’est un peu la réalité qui dépasse la fiction, comme si Ulysse traversait Hochelaga-Maisonneuve. La pièce, créée au Bic en 2002 par le Théâtre les gens d’en bas et qui a subi une amputation de 45 minutes, brouille littéralement les pistes du réel et de l’imaginaire. À l’heure des reality shows et de la fabrication de vedettes, l’auteur, Reynald Robinson (aussi acteur, il joue actuellement au Trident), questionne la place, le rôle et la fonction de l’artiste. Ses personnages, construits par la rupture avec leur passé, tentent d’accéder à l’existence par la reconnaissance publique (être Dieu, c’est figurer au TV-Hebdo). Limités, ils prennent les moyens qu’ils trouvent pour arriver à leurs fins, pour se trouver une fin.
Stéphane Breton, qui brillait dans la Serva Amorosa (1997) et qu’on voit de plus en plus au cinéma (Québec-Montréal) ou au petit écran, incarne Claude, une espèce de cow-boy à l’humour tranchant. Par lui et par Gabriel (Paul Savoie), au flamboyant franc-parler, c’est toute la notion de confiance qui est ébranlée. Les autres vacillent d’inquiétude. Même Solange (Anne-Sylvie Gosselin), pourtant dans le coup, n’est jamais du côté de la certitude. Cette manière qu’elle a d’amener le rough, de secouer les préjugés, rappelle la Johanne de Motel Hélène (Serge Boucher), qu’a d’ailleurs déjà incarnée la comédienne. Une certaine cruauté règne dans cette histoire touchante. La langue, dont la position est remise en question par Solange (elle emprunte à l’argot des films français, prétendant sonner plus vraie ainsi) et qui frôle la poésie urbaine dans la bouche de Gabriel, est toujours en état d’urgence.
La mise en scène de l’imaginatif Éric Jean laisse la place au jeu pertinent des acteurs et à la force du texte. Dans ce lieu fixe (décor de Marc Senécal), où l’éclairage (André Rioux) marque le temps et l’intimité, on voyage dans l’enfance (les protagonistes ont un hurlant besoin de se raconter) et dans les différences. "Ici, on n’a que des sans-marque", souligne Claude en mangeant ses chips, crottes au fromage, name it.
Jusqu’au 4 octobre
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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