Hamlet : État d'urgence
Scène

Hamlet : État d’urgence

La pièce s’ouvre au beau milieu du chaos, sur un décor éclaté, au sol jonché de vieux papiers et de curieux objets comme ce cochon en caoutchouc, moderne et agressif, et cette sculpture de cheval qui semble appartenir au 17e ou sortir tout droit d’une bédé. D’entrée de jeu, on nage dans les extrêmes et on déborde les époques, le théâtre. Les dialogues fusent de partout, à la limite du compréhensible, la musique agresse et nous y voilà, dans ce désordre qui nous concerne, nous, spectateurs du 21e siècle, autour du 11 septembre.

Le texte de Shakespeare, qui date de 1600, limpide dans la traduction de Jean-Michel Déprats, parle encore, comme à chaque époque qui l’a fait sien. On est bombardés d’informations qui arrivent comme des clips et, rapidement, la tension capte l’attention et on replace l’histoire de ce prince du doute, qui camoufle une certaine folie en en feignant une plus grave, et qui hésite à venger son père en tuant son oncle, le mari de sa mère, qui porte maintenant la couronne.

Bien sûr, on n’entre jamais "neufs" dans Shakespeare et on a tous notre Hamlet en tête. Mais celui-ci, aux allures de punk mariant la violence et le ludique ("mi-prince, mi-Chaplin", confesse Charles Berling, qui l’incarne), marque par le côté extraverti de ce personnage qui fut l’un des premiers, pourtant, à investir l’introspection. Fragile et fébrile, ce Hamlet montre bien le désespoir et l’impuissance que provoque la mort du père et qui le pousse, plus profondément encore, dans son amour pour Ophélie (Isabelle Blais). On interdit d’ailleurs à cette dernière de succomber au prince, qui, lui, de toute manière, perdu dans sa réalité fuyante et troublé par sa mère, ne peut soutenir cet amour. Cette présentation fait appel aux sens plus qu’à la raison. Hamlet, impulsif et intuitif, tiraillé par le doute qui engourdit sa lucidité, n’arrive pas à agir et demeure en état d’urgence permanent. Impossible de le percer, d’une sensibilité exacerbée et avec une propension à sombrer dans le pire, il réagit à la moindre approche. Il est le théâtre dans le théâtre.

La mise en scène du duo Patrice Caurier et Moshe Leiser, qui ont surtout travaillé à l’opéra (40 mises en scène), a réussi à soutenir cet univers chaotique sans nuire à la compréhension du texte. Ils ont, par bonheur, fait surgir l’humour dans cette sombre pièce. Cette coproduction France-Québec ne serait pas réussie sans le travail d’équipe et la chimie des comédiens, mais Berling prend possession des lieux avec sa voix entre deux eaux, avec cette incandescence d’adolescent et avec cette mystérieuse façon qu’il a, ce grand bavard, de contenir sa douleur. Si Isabelle Blais et Jean-Marie Winling jouent avec justesse, Christiane Cohendy (Gertrude) et Gabriel Arcand (un roi des plus timides) ne sont peut-être pas utilisés à leur pleine mesure. Soulignons encore la traduction de Déprats qui contribue grandement à l’efficacité du spectacle. Une pièce accessible et remarquablement contemporaine.

Jusqu’au 5 octobre
Au Théâtre du Nouveau Monde
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