La Ménagerie de verre : Verre poli
Qu’elles nous entraînent sur les traces d’une Chatte sur un toit brûlant ou dans Un tramway nommé Désir, les pièces de Tennessee Williams écorchent, blessent et laissent des cicatrices. Ce sont des bombes qui éclatent au visage et pétrifient le spectateur, meurtri mais tout de même rassuré de constater que quelqu’un, quelque part, a su trouver les mots justes pour décrire l’inconfort de la condition humaine. Le malheur des uns peut faire le bonheur des autres, lorsqu’il est raconté avec l’empathie et la sensibilité d’un Williams. Et c’est ce qui aurait dû se passer avec La Ménagerie de verre proposée chez Duceppe par la metteure en scène Françoise Faucher (dans une traduction de René Gingras), si cette dernière n’avait pas transformé cette grande oeuvre en objet théâtral sans aspérités, aux tranchants émoussés. Lisse comme du verre.
Tennessee Williams désignait La Ménagerie de verre comme sa "pièce du souvenir", puisqu’il y raconte un drame calqué sur sa vie, se déroulant dans un appartement pauvre de Saint-Louis. Entre quatre murs défraîchis, un jeune homme, Tom, tente de donner un sens à sa vie malgré un boulot qu’il déteste, une mère envahissante et une soeur d’une timidité maladive, qui passe ses journées à écouter des airs nostalgiques (une belle musique de Catherine Gadouas) en astiquant ses animaux de verre. Depuis que le paternel – "tombé amoureux des longues distances" – s’est éclipsé, Tom doit subvenir aux besoins de la famille, une charge bien lourde pour cet esprit fantasque qui rêve de prendre le large. Un soir, il invite à la maison un collègue de travail, au grand bonheur de sa mère Amanda, convaincue de l’importance de caser la jeune Laura au plus vite. Un blind date qui leur réserve quelques surprises…
Ces êtres fragiles sont interprétés avec retenue par une distribution cinq étoiles, réunie dans un décor plutôt conventionnel d’appartement signé Marcel Dauphinais. Louise Marleau captive le public en belle du Sud vieillissante, malmenée par la vie, qui idéalise le passé et babille inlassablement. À ses côtés, Evelyne Rompré et David Savard s’en sortent très bien, elle en femme-enfant paralysée par la crainte de déplaire et lui, en cinéphile qui en a marre de vivre par procuration, déchiré entre la hantise de répéter les erreurs paternelles et le besoin de fuir l’étouffant cocon familial. Sous le costard de Jim, l’étranger venu rompre leur fragile équilibre, Sébastien Delorme offre une prestation honnête. La mise en scène de Françoise Faucher est sobre, tout en délicatesse, ce qui assure aux fidèles de la Compagnie Jean Duceppe une soirée agréable mais convenue, d’une intensité mesurée. Une Ménagerie dégriffée, en somme.
Jusqu’au 18 octobre
Au Théâtre Jean-Duceppe