Rencontre: Guy Beausoleil : Feu de la passion
GUY BEAUSOLEIL signe l’adaptation, la mise en scène, les décors et les éclairages de la première version scénique du célèbre roman Kamouraska, d’ANNE HÉBERT. Un défi à la mesure de son admiration pour la grande romancière, qui a changé sa vie.
À l’instar d’Élisabeth, la jeune héroïne du bouleversant Kamouraska, Guy Beausoleil est un être de passion. Fasciné depuis l’adolescence par ce sombre roman d’amour, il dirige au Théâtre Denise-Pelletier (TDP) la toute première adaptation scénique professionnelle du classique d’Anne Hébert, publié en 1970 et porté à l’écran par Claude Jutra, en 1973. "Ce roman m’a fait exploser la tête!" lance d’entrée de jeu l’énergique créateur, impliqué jusqu’au cou dans le projet.
L’horloge ne marque pas encore 9 h et, pourtant, Guy Beausoleil s’active depuis un certain temps déjà sur la scène du TDP, transformée en chantier de construction grouillant de travailleurs. Une fois attablé dans le hall du théâtre, le touche-à-tout, qui a fait sa marque principalement comme pédagogue, metteur en scène et concepteur visuel, remonte le fil de ses souvenirs avec enthousiasme, racontant d’un ton enjoué sa rencontre avec la prose d’Anne Hébert, à l’école secondaire. "À l’époque, j’étais très macho! Je ne voulais lire que des auteurs masculins, qui avaient la grosse tête, comme Sartre et Camus. Mais une amie a insisté pour me prêter Kamouraska et ce roman a fait basculer ma vision du monde, des rapports hommes-femmes et de la littérature."
Ensorcelé, donc, par les mésaventures de la bouillante Élisabeth, mariée à 16 ans au seigneur de Kamouraska, Antoine Tassy, puis amante du Dr George Nelson, qui décide de se débarrasser de l’encombrant mari, Guy Beausoleil lit et relit l’oeuvre complète d’Anne Hébert. "C’est une créatrice qui va toujours vers le plus percutant, le plus simple, le plus dépouillé. C’est pourquoi j’ai totalement confiance en elle, comme en Giacometti par exemple. Parce qu’ils ne mentent pas, ne jettent pas de poudre aux yeux." Familier de l’oeuvre d’Anne Hébert sans être un expert, Guy Beausoleil a intégré au spectacle plusieurs extraits de ses poèmes favoris, chantés par Sylvie Tremblay sur une musique "exquise et sauvage" de Philippe Noireaut.
Même si ce drame passionnel se déroule au 19e siècle, le public étudiant s’identifiera aux tourments des jeunes héros de Kamouraska, croit le metteur en scène. "La sexualité est l’un des moteurs principaux du roman, rappelle-t-il, impressionné par l’avidité de vivre d’Élisabeth. Après son mariage avec Antoine Tassy, Élisabeth aurait pu se replier sur elle-même et finir comme Marie-Lou dans la pièce de Michel Tremblay. Au contraire! En créant ce personnage, Anne Hébert a participé au mouvement d’éveil des consciences des années 1970 et à la montée du féminisme. C’est pourquoi ce roman a, à mon avis, une importance politique."
Kamouraska, prise 2
En 2000, Guy Beausoleil dirige les finissants en théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe dans une première version de Kamouraska. Il décide alors de concevoir les décors et éclairages de la pièce, pour préserver la cohérence de sa vision, explique-t-il. Une fois les représentations terminées, l’oeuvre continue de le hanter. Il soumet un projet d’adaptation à Pierre Rousseau, directeur artistique du TDP, en se réservant encore une fois le rôle d’homme-orchestre. "Dès le départ, de voyais des projections, des ombres chinoises et un décor mobile. Je pratique une écriture scénique; les images surgissent en même temps que les mots."
Avare de dialogues, Kamouraska est une oeuvre fragmentée, qui voyage entre le passé et le présent. Pour lui rendre justice, trois Élisabeth se partageront la scène. "C’est un personnage qui a plusieurs vies, comme nous tous. Je n’ai pas cherché la ressemblance physique entre les actrices (Sylvie Tremblay, Éveline Gélinas, Anne Millaire), car Élisabeth aura été plusieurs femmes. C’est fascinant de voir comment le temps change notre être."
Depuis la présentation de Kamouraska à Saint-Hyacinthe, Guy Beausoleil croit avoir pris un recul suffisant pour découvrir quelques brèches dans son travail et les colmater. "La création, c’est toujours une sorte de coup de revolver dans le noir! s’amuse-t-il. C’est après, quand on allume les lumières, qu’on peut voir si l’on a atteint la cible."
Un coup de feu qui se tire à plusieurs, comme le souligne le créateur. "La distribution, c’est ce qu’il y a de plus important dans un spectacle. Depuis que je fais de la mise en scène, ma démarche s’inspire du monde des arts visuels, mais cherche avant tout l’acteur. Car pour moi, le comédien représente l’autre, celui vers qui je vais, qui me fascine et avec qui j’entre en rapport passionnel. Et c’est vrai que quand je dirige, je suis très, très passionné!" Un tempérament qui s’accorde bien aux fougueux protagonistes de Kamouraska…
Du 26 septembre au 18 octobre
Au Théâtre Denise-Pelletier