Rencontre: Lia Rodrigues : Geste politique
Scène

Rencontre: Lia Rodrigues : Geste politique

Le Festival international de nouvelle danse arrive à grands pas… Vous avez réservé vos billets? Il reste moins de deux semaines avant que l’ouragan FIND frappe Montréal pour une période de 13 jours consécutifs. Spectacles, performances et conférences sont au programme. Parmi les artistes venus d’ailleurs, certains nous exposeront, en plus de leur création, la réflexion qu’ils entretiennent sur leur art. La chorégraphe brésilienne LIA RODRIGUES est de ceux-là.

"Pour moi, être artiste, c’est nécessairement un acte politique", me lance-t-elle en début d’entrevue. Avant tout, elle désire mettre les choses en perspective. Le Brésil, ce n’est pas qu’un carnaval, c’est aussi énormément de violence, tient-elle à souligner. Par ailleurs, la situation économique ne permet pas la mise en place d’infrastructures suffisantes au bon développement et à la promotion du travail des chorégraphes résidents. Ceci, malgré le souffle d’espoir engendré par l’arrivée récente au pouvoir du nouveau président Lula. "Pour vivre de danse au Brésil, il faut se battre beaucoup… Pour vivre tout court, poursuit-elle, c’est une lutte constante. Certes, il y a eu un certain progrès par rapport à avant, mais notre situation ne se règlera pas en quatre ans. Le problème est trop vaste."

Lia Rodrigues décrit le climat de Rio, où elle vit présentement, "d’état de guerre silencieuse". Lorsque je lui demande de m’expliquer le phénomène, elle répond: "Je viens d’une classe moyenne, mais tout à côté, c’est les favelas (sorte de bidonvilles)… C’est un tout autre monde. Il y a une armée dans les favelas, les trafiquants et tout ça. Puis il y a une guerre civile non déclarée, avec le trafic de drogue. Alors on ne sait jamais si nos enfants vont revenir de l’école ou pas".

Sa création Formas Breves, qui sera présentée au FIND, est un hommage à Oskar Schlemmer. Un artiste et théoricien polyvalent qui fut à la fois peintre, architecte, homme de théâtre et chorégraphe, mais aussi une influence marquante en danse. On lui doit d’ailleurs le fameux Ballet triadique (1923), élaboré selon l’esthétique constructiviste de l’époque, reflétant l’aura mécanique propre à une industrialisation en pleine expansion.

Quand on est au fait du climat régnant au Brésil, on est en droit de se demander quel rapport il peut bien exister entre Schlemmer et celui-ci. "En effet, les corps dansants sont brésiliens, répond Lia Rodrigues. Même si les préoccupations d’un Allemand des années 20 peuvent paraître loin de celles d’une Brésilienne du troisième millénaire, il existe entre nous quelques points en commun. Par exemple, l’implication sociale et politique de ce maître du Bauhaus, ainsi que son désir de faire bouger les choses, étaient très grands. Tout comme pour moi présentement."

Formas Breves, dont la composition prend la forme d’une série de textes chorégraphiques juxtaposés les uns aux autres et s’ouvrant sur de multiples interprétations, aborde également l’idée de mécanisation chère à Schlemmer. De plus, elle nous fait voir le corps selon une perspective multidimensionnelle composée de six qualités qui sont le volume, la forme, le poids, la vitesse, l’espace et le temps.

Cette pièce n’en est plus à sa première représentation, celle-ci ayant eu lieu en avril 2002. En outre, elle a su faire preuve, dès le départ, d’une maturité et d’une profondeur que les journaux européens ont eu vite fait de souligner. À ce compte, je reprends les propos de Dominique Frétard, du quotidien Le Monde, qui déclare – en faisant un lien avec le travail de Schlemmer – que "Lia Rodrigues démontre qu’elle sait, elle aussi, transformer le banal en construction géométrique divine".

En parallèle à cette présentation, la chorégraphe participera à l’un des quatre laboratoires de discussion organisés cette année par le FIND. Une rencontre qui se tiendra à Tangente, le 4 octobre, de 12 h à 14 h. C’est en compagnie de critiques et de danseurs brésiliens qu’elle viendra nous parler de son pays. Des questions seront alors soulevées: Comment la danse au Brésil se distingue-t-elle? Quels sont les enjeux depuis la victoire de Lula?

L’engagement de cette leader incontestée de la danse au Brésil est remarquable. Car malgré les nombreuses difficultés découlant de la situation économique et politique précaire de son pays, elle s’acharne à poursuivre ce qui semble être sa vocation, sa mission. "Je ne sais pas si je sais faire autre chose, m’avoue-t-elle. Mais je pense que j’ai tout simplement besoin de croire à chaque instant que ce que je fais est important. Voilà pourquoi je continue…"

Du 1er au 4 octobre, 17 h 30
À Tangente