Critique HA ha!… : HA ha!…
Jusqu’au 11 octobre
Au Grand Théâtre
Quatre personnages marchent au bord du gouffre; y jettent tout, et sont bien près de s’y jeter eux-mêmes: telle est l’image que lance le HA ha!… de Réjean Ducharme mis en scène par Frédéric Dubois. Semant autour d’eux désordre, chaos, abîmant, détruisant, ces personnages, par ennui, déception, n’ont qu’une envie: jouer. Jeux de l’amitié, du désir, jeu du jeu: pour meubler le grand vide.
Sur le plateau, que borde de chaque côté une fosse profonde, quelques meubles, des armoires surmontées de livres, quelques objets, dont plusieurs téléphones, des vêtements, des souliers (Michel Gauthier), le tout baigné d’un éclairage parfois terne, parfois coloré, mais toujours glauque (Denis Guérette). L’espace, métaphore de certains enjeux de la pièce, s’encombre peu à peu: de journaux qu’on déchire, de sacs d’épicerie qu’on laisse traîner, de bouteilles, pleines et vides, qu’on lance. En même temps, on jette, à mesure, les objets utilisés, dans un des trous s’ouvrant au bord de la scène.
HA ha!… prend la forme d’un huis clos se resserrant sur deux couples d’amis: Roger, dont l’unique ambition est de plonger toujours plus bas, et Sophie qui, faute de trouver le bonheur, devient dangereusement cynique; Bernard, qui noie ses désillusions, et lui-même, dans l’alcool, et Mimi, redoutant les contacts physiques, pure jusqu’à la névrose. Lorsque Mimi et Bernard emménagent chez Sophie et Roger, les relations déjà tordues dérapent complètement. Chacun se laisse couler, entraînant les autres; en marge – ou au centre -, Mimi, qui n’arrive pas à entrer dans leur monde – ou refuse de le faire.
Les comédiens, eux aussi côtoyant le vide, s’y lancent sans retenue. Tous quatre (Yves Amyot, Lorraine Côté, Marie-Christine Lavallée, Reynald Robinson), excellents, impressionnent par leur énergie, mais surtout, par leur disponibilité à ce monde désordonné, leur talent à s’en imprégner et à s’y abandonner. Chacun flambe avec son personnage, et se consume avec lui.
En écoutant Ducharme, magnifiquement rendu par les interprètes, on ne peut s’empêcher d’être admiratif. Quelle densité sous la légèreté apparente, les jeux de mots de cette langue inventée! Ducharme, bien sûr, est déroutant; mais il est aussi, sa réputation n’est en rien surfaite, un peu génial. En cela qu’il saisit, et parvient à transmettre, l’ineffable, dans toute sa gravité.
Si la pièce étonne par la folie des personnages, l’absurdité apparente de leurs propos, c’est en deuxième partie que tout prend sens, et que la cohérence apparaît: au coeur de l’agitation logent, en vain, soif d’amour, quête de sens. Du HA ha!… proposé par Dubois se dégage une image limpide, dont l’effet est celui d’un électrochoc: puissant, et profondément dérangeant.