Iphigénie – Entrevue avec Valérie Laroche et Jean-Nicolas Marquis : Victimes de guerre
Scène

Iphigénie – Entrevue avec Valérie Laroche et Jean-Nicolas Marquis : Victimes de guerre

Issus du Conservatoire d’art dramatique de Québec entre 1998 et 2003, 10 comédiens racontent une histoire millénaire. Parmi eux, VALÉRIE LAROCHE et JEAN-NICOLAS MARQUIS; ils jouent Iphigénie ou le péché des dieux, de MICHEL AZAMA.

Ce texte contemporain puise son sujet et sa forme dans l’Antiquité grecque. S’inspirant d’Iphigénie à Aulis, tragédie d’Euripide, l’auteur, tout en gardant le choeur et la présence des dieux, a modernisé la langue. Selon les deux comédiens, le sujet, toujours pertinent, en devient d’autant plus accessible.

Mise en scène par Lorraine Côté, la pièce raconte le sacrifice que prépare Agamemnon, chef des Grecs, pour plaire aux dieux. Pour que les vents soient favorables au départ de sa flotte vers Troie, où il s’engagera dans une guerre interminable, Agamemnon accepte d’immoler sa fille. La jeunesse sacrifiée pour la guerre s’incarne ici dans le personnage d’Iphigénie, condamnée aussi sûrement dans le texte d’Azama que dans celui d’Euripide. Dans la version moderne, pourtant, plutôt que d’accepter et de se soumettre pour la gloire de son peuple, Iphigénie se révolte, et le crie bien haut.

Ce cri d’Iphigénie, pour Valérie Laroche, donne à la pièce sa grande portée, tout actuelle. "La pièce correspond à ce qu’on vit tous les jours avec la guerre, en Irak et partout. Les liens se font facilement, encore plus, peut-être, parce que le texte est d’aujourd’hui."

Chaque comédien incarne, à tour de rôle, les différents personnages. Parmi eux, Iphigénie et Achille, à qui la jeune fille est promise; le mariage servira de prétexte pour l’attirer au lieu du sacrifice. Le changement d’interprète est indiqué au moyen d’un objet, donné "parfois de façon très simple, d’autres fois lors d’un passage très ritualisé", explique Jean-Nicolas Marquis. D’un comédien à l’autre, les deux personnages changent de visage, se révélant chaque fois autrement.

"L’idée, c’est de faire chacun son propre Achille, chacune son Iphigénie, expose Valérie Laroche. Toi, tu prends ce rôle-là; qu’est-ce que tu en fais? Il y a des couples Iphigénie-Achille qui sont à des années-lumière d’un autre couple qu’on vient de voir. Il faut les réapprivoiser, comme acteurs, et comme public; c’est vraiment intéressant."

La grande exigence de ce spectacle se situe non dans ces changements, mais plutôt dans l’intensité que commande le jeu tragique. "La tragédie, je trouve ça extraordinaire, mais c’est dur, avoue Jean-Nicolas. Je n’ai jamais l’impression d’aller aussi loin que le demanderait la tragédie. Des fois, on se sent un peu petit, alors qu’on voudrait être plus grand."

"C’est aussi très délicat, ajoute sa partenaire. La situation nous rend plus grands que nature; en même temps, ça peut être très humble, parce que ce sont des humains comme nous qui la vivent. Iphigénie, c’est une pauvre petite fille de 15 ans prise dans quelque chose qui la dépasse. Comment jouer ça, pour lui donner le plus d’ampleur possible?"

La pièce, à coup sûr, trouvera un écho chez les spectateurs, estiment les interprètes. "J’aimerais qu’il y ait beaucoup de jeunes qui viennent voir la pièce, et qui se posent des questions ensuite, souhaite Valérie. Iphigénie dit, à la fin: "Parlez de moi comme de quelqu’un qui est mort pour rien, pour le plaisir des dieux. Criez ça partout sur la planète: qu’on se réveille, et qu’on arrête! Mais on va m’oublier quand je serai morte; quelqu’un d’autre sera sacrifié." En l’écoutant, une émotion m’est venue: c’est épouvantable, on continue tellement de répéter les mêmes affaires… J’espère que les gens vont faire des liens."

"Ce qui me touche vraiment, poursuit Jean-Nicolas, c’est quand on dit, sans commentaire, sans jugement, "regardez: ça pourrait être votre ami, votre frère, vous-même. Maintenant, qu’est-ce que vous en pensez? Partez, et réfléchissez; c’est à vous de décider quoi faire." Ce n’est pas à nous, gens de théâtre, à le dire. Nous, notre job c’est d’exposer les choses, simplement. Et je crois que la pièce le réussit très bien."

Serge Bonin, Frédérick Bouffard, Fabien Cloutier, Valérie Descheneaux, Catherine Larochelle, Myriam LeBlanc, Nicolas Létourneau, Olivier Normand-Laplante complètent la distribution; à la conception: Christian Fontaine, Isabelle Larivière, Sonoyo Nishikawa, Yves Dubois et Jean-Philippe Joubert.

Jusqu’au 18 octobre

Au Théâtre Périscope
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