Oedipe à Colone : Si loin, si proche
Scène

Oedipe à Colone : Si loin, si proche

Il a beaucoup été question de retrouvailles à propos d’Oedipe à Colone, la tragédie de Sophocle traduite du grec ancien par Marie Cardinal et mise en scène par son compagnon de vie Jean-Pierre Ronfard, dans une scénographie et des costumes d’un ami de jeunesse, le Français André Acquart. À l’Espace Go, la rencontre a avant tout lieu entre les spectateurs et un Albert Millaire d’une éblouissante fragilité en vieillard aveugle à la recherche d’un coin tranquille où pousser son dernier soupir. Il faut voir le sourire vainqueur de cet acteur trop rare, lorsqu’il s’avance après deux heures dans le noir, les yeux enfin grands ouverts, pour saluer le public qui l’ovationne… Un moment de grâce.

Sans être parfait, Oedipe à Colone est donc un spectacle à ne pas rater, principalement pour la performance d’Albert Millaire, qui incarne avec aplomb le vieil homme têtu aux yeux bandés et au corps voûté, bien décidé à mourir où il l’entend. Rappelons que cette tragédie plutôt sereine (Antigone ne se jette qu’une seule fois par terre!) raconte les derniers jours d’errance d’Oedipe, qui s’est crevé les yeux en découvrant qu’il avait tué son père et épousé sa mère. Banni de Thèbes, le héros erre sur les chemins en compagnie de sa fille Antigone, jusqu’à ce qu’ils pénètrent dans un bois sacré à proximité d’Athènes, où Oedipe décide d’attendre la mort.

Le texte du dramaturge grec nous arrive dépoussiéré, facile d’accès, comme s’il avait été écrit hier et non quelque 400 ans avant l’ère chrétienne. À partir de cette traduction limpide, Ronfard a construit un objet théâtral fidèle au passé mais ancré dans le présent, sérieux et pourtant ludique. Cohérent, en un mot. Ainsi, les comédiens évoluent dans un espace dépouillé, sur un plancher de bois incliné tout ce qu’il y a de plus classique, décoré de quelques arbres tordus et de lambeaux de texte grec collés ici et là, qui viennent ajouter une touche fantaisiste à l’ensemble. Il en est de même pour les costumes aux étoffes riches et étonnantes et, surtout, pour l’environnement sonore de Stéphane Caron, composé à partir des voix des comédiens. Malgré le ton tragique, certaines scènes font rigoler, comme le chant de bienvenue, où le choeur danse en frappant des cailloux les uns contre les autres, ou l’affrontement entre le vilain Créon et Thésée, inspiré des combats d’arts martiaux. Sans compter l’intervention du Messager, qui arrête l’action pour souligner le ridicule d’une phrase qui vient d’être dite, vide de sens comme "un couteau sans manche auquel il manquerait la lame"! Quelques touches d’humour qui allègent l’atmosphère…

Malgré la vision unificatrice de Ronfard, l’interprétation se révèle très inégale. Mentionnons ceux qui nous ont plu: Albert Millaire, bien sûr, dont la diction parfaite réjouit l’oreille, mais aussi Gabriel Gascon, Édith Paquet et Denis Gravereaux. Sous la robe déchirée d’Antigone, Nathalie Gascon est d’une grande intensité, d’une ardeur un peu trop appuyée, même.

De petites faiblesses qui n’empêchent pas les mots de Sophocle de captiver l’assistance deux heures durant. Jean-Pierre Ronfard et sa bande ont choisi de se mettre humblement au service d’un texte émouvant qui a traversé les époques, sans chercher à en offrir une relecture au goût du jour. Pour notre plus grand bonheur, ils se contentent de jouer les passeurs. C’est déjà beaucoup.

Jusqu’au 11 octobre
Au Théâtre Espace Go