Rencontre: Marie Chouinard : Mouvements du désir
Scène

Rencontre: Marie Chouinard : Mouvements du désir

La chorégraphe MARIE CHOUINARD fête ses 25 ans de carrière. À l’occasion du Festival international de nouvelle danse (FIND), elle nous présente ses deux nouvelles créations: Étude #1 et Chorale.

Quand vient le temps de parler de son oeuvre, Marie Chouinard a le regard qui brille comme le cristal d’une voyante. Son corps entièrement engagé façonne l’espace tel un sculpteur sa matière. Cela laissant apparaître, l’instant d’une révélation, des silhouettes aux contours auréolés par ses gestes chargés d’intensité. On saisit alors avec émerveillement quel est "le lieu, la formule", comme dirait Rimbaud, qui procure aux interprètes de ses oeuvres cette aura magique dont la puissance élève souvent nos sens jusqu’au sublime.

Mais d’où lui vient cet engouement pour la création? "Ça remonte à bien avant que j’aie l’idée d’entreprendre cette carrière, répond-elle. À l’époque où je prenais des cours de danse sans que ce ne soit très sérieux. J’allais souvent voir des oeuvres picturales. Certaines de celles-ci m’ébranlaient à un point tel que j’en venais à me demander: Mais c’est quoi l’art pour être si puissant? Comment ces peintres faisaient-ils pour qu’en appliquant de la couleur sur une surface, ça en vienne à un niveau si profond? Des années plus tard, je suis devenue danseuse, puis chorégraphe, quasiment par accident… probablement pour répondre à ce questionnement."

Formes d’exception
Les intuitions créatrices de Marie Chouinard sont comme des papillons se posant au hasard d’un vol énigmatique. Étude #1 en est la preuve. Pour cette pièce, elle est partie d’une de ses interprètes, Lucie Mongrain. "Elle était en train de se réchauffer dans un coin du studio. Elle ne bougeait presque pas, mais je sentais quelque chose émaner d’elle. Je la regardais, puis tout à coup ça a été comme un appel. Je me suis approchée d’elle et j’ai dit: Lucie, je vais te faire un solo…"

Durant la première semaine de recherche en studio, tout y est passé avant que la créatrice trouve finalement le point d’ancrage de sa pièce: la claquette, activité que l’interprète avait pratiquée par le passé. Vint ensuite un travail progressif de développement d’une gestuelle hybride entre cette discipline et l’énergie propre à la chorégraphe, puis l’ajout d’une ambiance sonore par Louis Dufort. Mais comme il s’agissait d’un projet de dernière minute, la compagnie n’avait prévu aucun budget pour cette création. C’est donc la créatrice qui a dû assumer seule la conception des éclairages et du costume. Un petit extra qui semble toutefois lui avoir fait grand plaisir.

Alors qu’Étude #1, c’est la claquette de Lucie Mongrain passée au tamis de l’univers ultra-fluide, hyper-sensoriel et multi-dimensionnel de Marie Chouinard, Chorale se veut un chant de la difformité. Mais attention: la chorégraphe tient à préciser que même si cette source d’inspiration est volontaire, il ne s’agit pas d’une inopportune récupération d’un quelconque état corporel affligeant. "Chorale, c’est une jungle, précise-t-elle. C’est aussi la première fois que je remets de la voix depuis Les Trous du ciel (1991). Une voix qui, de la même façon que le mouvement, va et vient, çà et là dans l’espace. Comme un tout disparate, dont la cohérence harmonique n’apparaît qu’à la fin de la pièce. Sur le plan de la gestuelle, il s’agit d’un travail sur cette déconstruction humaine qui peut surgir dans l’orgasme, par exemple, ou dans le dépassement sportif. J’ai d’ailleurs toujours eu une grande reconnaissance de beauté pour les gens qui ont des difformités. Ça n’a rien à voir avec la pitié ou la honte. Je ne demande pas aux danseurs d’imiter un corps difforme. Je leur demande de vivre cette difformité dans ce qu’elle a d’extrême, sans toutefois essayer de la ressentir comme une douleur, mais plutôt en la vivant au maximum, de façon à en faire ressortir toute la force et la beauté."

Il arrive que des gens soient si bouleversés par les oeuvres de la chorégraphe qu’ils éprouvent le désir de la remercier après le spectacle, les yeux encore rougis par l’émotion qui les a submergés. Comme cette femme, le soir de l’avant-première montréalaise de Chorale: "Elle avait eu une maladie nerveuse et n’en était sortie que depuis un an, explique Marie Chouinard. Elle m’a avoué avoir eu envie de quitter la salle, lorsque le spectacle a commencé. Mais elle est restée parce qu’elle a senti, à un moment de la pièce, que je l’avais comprise. Elle a d’ailleurs l’impression d’avoir revécu, tout au long du spectacle, son processus de guérison. Ce genre d’expérience est une des plus belles choses qui puissent arriver en art."

Sage femme
Le parcours d’un artiste n’est pas parsemé que d’anecdotes agréables. On n’a qu’à repenser à la fois où la chorégraphe, alors qu’elle incarnait le Faune, avait dû sortir de son interprétation pour avertir un photographe bruyant d’arrêter de prendre des clichés parce qu’il la dérangeait. Certains lui ont reproché ce geste. Mais elle répond à cela qu’en art tout est permis, du moment que c’est assumé.

Par ailleurs, elle avoue avoir été très révoltée, à une certaine époque. "C’était une révolte contre la banalité, la médiocrité, nous dit-elle. Aujourd’hui, je suis plus sage. J’ai compris que certaines choses sont inévitablement présentes chez l’être humain. Je n’aime pas plus cette médiocrité, mais je la tolère. Dans la même optique, Philippe Noiret disait lors d’une entrevue qu’il était un "désolé joyeux". Je trouve ça beau et je comprends très bien…"

Il semble que la chorégraphe se rapproche progressivement de ces artistes d’une grande maturité qu’elle a toujours admirés et qui ont été à la source de son cheminement. Marie Chouinard confie d’ailleurs être de plus en plus heureuse. Mais comme on peut le constater, cette plénitude est le fruit d’un long processus de maturation: "La vingtaine, c’est pas facile. La trentaine non plus, enchaîne-t-elle. On dirait que c’est à partir de la quarantaine qu’on commence à être bien et à se connaître vraiment… Après, ça ne fait qu’être mieux. Dans le même ordre d’idées, quand on regarde, par exemple, les oeuvres de vieillesse des peintres qui arrivent dépassé 65 ou 70 ans, ça ressemble à des oeuvres de jeunesse accompagnées de toute leur charge sexuelle et vitale, mais avec une plus grande maîtrise."

On ne peut s’étonner que certains perçoivent une aura spirituelle autour des oeuvres de la chorégraphe. Cette dame d’expérience dirait plutôt que ce qui transparaît, c’est la totalité de l’être, toute l’intelligence du danseur… sa sensibilité, sa conscience, son anatomie… toutes les forces, au diapason, qui sont mises en action et qui ressortent ensemble. Le côté alerte de l’animal qu’on a en nous et qui nous permet de sentir l’espace autour de nous. C’est aussi ça, le bonheur. La joie d’être en vie. Des aspects du métier de danseur qui sont chers à Marie Chouinard.

Au bout du compte, existe-t-il réellement une réponse à la question qui a poussé cette artiste admirable vers le métier qu’elle pratique depuis maintenant 25 ans? À ce stade, l’important n’est peut-être plus tellement de connaître la réponse, mais plutôt que la question serve encore de moteur à sa création. Et ce, nous l’espérons bien, pour encore plusieurs décennies…

Histoires d’un soir
Soulignons qu’il existe deux volets au programme consacré à Marie Chouinard, à l’occasion du FIND. Aux deux soirées dédiées à ses nouvelles créations, donc, s’ajoute une soirée commémorative au cours de laquelle seront présentées les reprises du Prélude à l’après-midi d’un faune (version Debussy, 1994) et du Sacre du printemps (1993), en compagnie de l’OSM. Ceux qui ont eu le privilège de voir la première de ce spectacle unique, cet été lors du Festival de Lanaudière, s’en souviendront longtemps.

Cet événement grandiose aura donc lieu, pour la seconde et dernière fois, le dimanche 5 octobre à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, et sera suivi d’une grande fête donnée en l’honneur des 25 ans de carrière de la chorégraphe. La célébration se tiendra dans le foyer de la salle de spectacle. Prenez note qu’un supplément de 10 $ vous sera demandé si vous désirez y assister.

Les 8 et 9 octobre
Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts