Kamouraska : Écarts de langage
Le Théâtre Denise-Pelletier fête son quarantième anniversaire en s’offrant la première adaptation pour la scène du célèbre roman Kamouraska d’Anne Hébert, adaptation signée et mise en scène par le frénétique Guy Beausoleil. Un univers cauchemardesque qui détonne par excès de zèle.
C’est à travers la pensée trouble d’Élisabeth Rolland (incarnée par Anne Millaire) que le public assiste à la reconstitution de son histoire d’amour avec le médecin protestant George Nelson. Mariée à Antoine Tassy, seigneur de Kamouraska (un Louis-Olivier Mauffette volcanique), après avoir été élevée dans les valeurs bourgeoises d’un Québec du dix-neuvième siècle par trois tantes dévotes, la jeune Élisabeth Tassy (une Éveline Gélinas fragilisée) deviendra l’amante d’un médecin étranger (Sébastien Ricard) duquel elle aura un enfant. Elle poussera son amant à tuer le seigneur Tassy avant de se remarier à Jérôme Rolland (Yves Raymond) et de sombrer dans une vie de contrition.
C’est sur une scène d’agonie que s’ouvre la pièce, scène qui donnera le ton à tout le spectacle. Le jeu consciemment exagéré des acteurs nous dresse ici un portrait caricatural de l’histoire et des personnages d’Anne Hébert. Une Élisabeth Rolland criant en se tordant les mains, soutenue par un alter ego narrateur (Sylvie Tremblay à la voix toujours sublime mais au jeu un peu trop appuyé), regarde devant elle se déployer les images troubles de son passé, déformées par le remords. C’est sans doute cette amplification qu’a voulu démontrer Guy Beausoleil en choisissant délibérément de nous faire entrer dans la conscience inquiétante d’Élisabeth par des moyens techniques comme les projections d’images, ou encore par l’effet de distorsion créé par les acteurs. Cependant, il en résulte une impression de parodie, où les personnages se transforment en bouffons (le public ne peut s’empêcher de rire aux crises de colère d’Antoine Tassy). La jeune Élisabeth nous apparaît comme une poupée idiote et légère dans sa robe rose (on attend en vain le glissement vers le monde adulte) alors que George Nelson n’est qu’austérité et sentiments endigués. Enfin, les voix haut perchées de tous les personnages féminins (ou presque) ainsi que l’abus de cris de part et d’autre ne réussissent qu’à nous agresser. Difficile de recréer un cauchemar sans nous le faire vivre pour autant.
Si l’angle de cette adaptation demeure très intéressant, le portrait chargé qui en découle pèche non seulement par ses excès mais également par sa scénographie. Les projections, souvent inutiles, viennent appuyer une situation déjà fort soulignée par le jeu des acteurs. De même, une scène particulièrement malhabile nous fait voir les deux amants projetant la mort du seigneur Tassy, alors que le dialogue se lit sur écran. On ne comprend pas la nécessité de passer par ce moyen alambiqué. Quant au plateau de scène, un escalier amovible laisse un espace restreint au sommet que les acteurs arpentent de long en large. Même Éveline Gélinas, habituellement touchante, y semble mal à l’aise. De nombreux clichés – la trappe au sol, la fumée – participent à cette recréation d’un univers onirique. Le texte d’Anne Hébert par la voix de Sylvie Tremblay jure souvent par sa justesse dans cette contrefaçon volontairement tordue.
Plusieurs bons flashs cependant: une flaque de lumière rouge par terre, un choeur de témoins orchestré de main de maître, et cette femme-insecte sortie directement d’un imaginaire fiévreux. Une Aurélie Caron (Vladana Milecevic) qui tire miraculeusement son épingle du jeu. Mais pour le reste, on se sent bien loin du roman, malgré une adaptation chronologiquement impeccable. Amateurs, préparez-vous au choc!
Jusqu’au 18 octobre
Au Théâtre Denise-Pelletier
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