Rencontre: Manon Oligny : Pied d’athlète
La chorégraphe montréalaise MANON OLIGNY revient dans la métropole. Elle nous présente au FIND l’amorce d’un "incident chorégraphique" qui s’étalera sur quatre ans et tiendra résidence dans quatre grandes villes du monde.
"Je m’en allais à l’épicerie et je marchais super vite, me raconte Manon Oligny. Je dépassais tout le monde. Je les trouvais si lents… Soudain, j’ai réalisé que j’allais à ce rythme effréné pour rien, que personne ne m’attendait au retour. Je n’avais rien de prévu qui me poussait à aller si vite. C’est fou! L’idée de performance déborde dorénavant du contexte de travail pour s’étendre à toutes les sphères de notre vie." De cette constatation est né 46"00"05 Projet 1 Road chorégraphique.
Il s’agit d’un projet chorégraphique d’envergure se déroulant au rythme d’un marathon de la création. La chorégraphe se donne chaque fois un mois pour trouver des danseurs dans chaque métropole qu’elle visitera (Lisbonne, Tokyo, Sao Paulo et Helsinki) et pour créer une oeuvre. Cette course folle touche alors à tous les niveaux du processus: la chorégraphe doit produire une gestuelle en un temps restreint et les danseurs doivent s’approprier celle-ci le plus vite possible. Portrait ironique d’une société?
Pour les besoins de la cause, la métaphore sportive est poussée au maximum. Car la chorégraphe aborde le mouvement par le biais de l’univers du squash. "J’ai choisi ce sport parce que les deux participants ne sont pas face à face, explique la chorégraphe. Cela présente un type de relation indirect, comme on en retrouve de plus en plus dans nos vies. Ce n’est pas comme au tennis, où il existe un dialogue direct et franc. Également, le mur sur lequel la balle rebondit, et face auquel les joueurs se situent, est vitré. Pour moi, la référence à la télévision est claire. D’un côté, les spectateurs passifs; de l’autre, l’action, la sueur, le dépassement physique et émotif… De quel côté se trouve la réalité?"
Adopter la salle de squash comme lieu de diffusion est inusité, mais fort intéressant et justifiable dans un tel contexte de recherche. Manon Oligny possède un discours éclairé sur son art et ses choix sont dirigés en fonction d’objectifs bien précis. "Je veux parvenir à saisir et démontrer, par le mouvement, ce qui survient lorsque les danseurs arrivent à la limite du dépassement physique. Ceci en leur imposant des règles strictes, qui exigent une dépense physique soutenue." Or, qu’arrive-t-il lorsqu’on place des danseurs uniquement en situation d’action, en diminuant au maximum la part du sensible? "L’épuisement fait disparaître bien des tensions et des résistances, répond la chorégraphe. Et le mouvement devient alors empreint de quelque chose de brut qui surgit hors du contrôle de l’interprète."
Rassurez-vous, les danseurs qui acceptent de s’engager dans cette aventure sont avertis, bien avant, de ce qui les attend. Mais comment choisit-on les candidats pour une telle épreuve? "Pour mes créations précédentes, je choisissais en fonction d’une certaine théâtralité. Là, je choisis des techniciens." La chorégraphe sera d’ailleurs assistée d’un psychologue sportif qui pourra la conseiller, ainsi que d’un photographe sportif qui prendra quelques clichés, davantage sous l’angle de la performance que sous celui de l’art. De plus, l’ensemble du projet sera capté à travers la lentille du vidéaste collaborateur Frédéric Moffet.
Ce qu’il y a de très enrichissant derrière une telle démarche, c’est qu’elle remet en question, de manière concrète, les notions mêmes de chorégraphe, de répétiteur, de danseurs, de lieu de diffusion, etc. Si cette oeuvre se veut tout d’abord une critique de notre société actuelle, elle n’en demeure pas moins une remise en question de tout l’appareil d’invention et de production d’une oeuvre chorégraphique. Elle en altère la forme et la raison d’être pour nous faire voir, à l’autre bout de la ficelle, les mains du manipulateur… démasqué.
Dans ce contexte où la vulnérabilité des interprètes ne peut être contournée et où il n’existe plus de repères artistiques, comment réagirons-nous? Comme de simples voyeurs intéressés? Serons-nous bouleversés par la "violence kinesthésique" nécessaire à l’émergence d’une telle authenticité? Pourrons-nous supporter de voir apparaître l’imperfection à travers la tronche réellement déconfite de ces titans harassés?
Ce qui est sûr, c’est que l’image divinisée des athlètes d’occasion qu’on voit dans les pubs en prendra un sacré coup. Et que cette sublime poésie charnelle que le regretté Denis Vanier nommait "l’odeur de l’athlète" sera à la portée de qui saura en apprécier les effluences.
Les 4 et 5 octobre
Au YMCA centre-ville