Rencontre: Michel Monty : Casse ouvrière
Le théâtre doit faire le pont entre l’individu et la société, croit MICHEL MONTY, qui propose à La Licorne Gagarin Way, un huis clos explosif se déroulant dans une usine écossaise de puces électroniques. Un voyage imaginaire qui s’annonce houleux.
Après nous avoir fait apprécier la dramaturgie irlandaise avec les excellents Howie le Rookie et La Reine de beauté de Leenane, La Licorne pose ses sabots du côté de l’Écosse avec Gagarin Way, première comédie noire d’un ouvrier en colère, Gregory Burke, mise en scène par Michel Monty, dans une traduction d’Yvan Bienvenue. L’action se déroule en une nuit, dans une manufacture où deux petits employés, Eddie et Gary, tentent un grand coup pour conscientiser la population aux dangers de l’économie globale. Pour incarner ce duo survolté, David Boutin et Stéphane Jacques, entourés de Daniel Gadouas et Francis Poulin, menacés de passer un bien mauvais quart d’heure en leur compagnie…
"Il s’agit d’une pièce qui parle de violence, annonce Michel Monty, attablé dans un café d’Outremont. De violence individuelle, politique et économique." Le metteur en scène a d’abord été effrayé par ce huis clos bavard, dans lequel deux complices en viennent à s’affronter. "Le gros du travail a été de prendre tous ces dialogues et de les mettre en action, pour éviter que la pièce ait l’air d’une longue conversation. Il faut se concentrer sur la situation et non sur le message, déjà évident dans le texte, comprendre les personnages, les humaniser au maximum, et jouer non pas ce qu’ils disent, mais ce qu’ils s’empêchent de dire." Lire entre les lignes, en quelque sorte.
Fasciné par les thèmes de la suprématie des grands conglomérats et de la course aux progrès technologiques, le créateur d’Exodos et de CyberJack s’est découvert des affinités avec l’écriture directe de Gregory Burke. "J’aime les pièces qui réussissent à joindre le politique et l’intime. Ce qui m’excite dans Gagarin Way, c’est sa dimension politique, la large place accordée aux idées. C’est une oeuvre à la fois horrifiante, drôle et pleine de contradictions. Je déteste les pièces à messages mais j’aime quand il y a du contenu, quand l’auteur ne se contente pas de gratter ses bobos…"
Né en 1968 dans la petite ville ouvrière de Dunfermline, en Écosse, Gregory Burke n’avait jamais mis les pieds dans un théâtre lorsqu’il a soumis sa pièce au Traverse Theatre d’Édimbourg. Depuis sa création en 2001, Gagarin Way a été jouée à New York et dans une dizaine de villes d’Europe. Michel Monty admire la sincérité de ce morceau de théâtre. "C’est une pièce authentique, qui découle d’une urgence de prendre la parole. Il ne cherche pas à réinventer le théâtre mais juste à dire quelque chose, avec le moyen qui lui semble le plus accessible. Je pense que si cette pièce a eu un si grand impact en Grande-Bretagne, et même en Europe, c’est parce qu’elle est largement inspirée de la vie de l’auteur."
Sous l’Écosse
Michel Monty s’est baladé à plusieurs reprises dans les rues et les forêts d’Écosse, avec l’impression de poser les pieds en terrain connu. "L’Écosse est un pays nordique, comme ici. Dans les villes comme Glasgow, le ciel est bas, c’est gris et les gens sont pauvres. Culturellement, c’est le désert et c’est ce qui donne naissance à la violence. La violence économique engendre la violence individuelle, j’en suis convaincu, et c’est ce dont parle la pièce." La différence entre les protagonistes de cette histoire et les bums d’ici tient surtout à leur culture politique, ajoute-t-il. Là-bas, les traditions communistes sont plus fortes (d’où le titre de la pièce, en référence au cosmonaute soviétique qui a damné le pion aux Américains).
Le metteur en scène est toutefois convaincu que "la colère de ces gars, plein de gens, ici, la ressentent aussi". La dramaturgie anglo-saxonne, éminemment politique, le bouleverse. "C’est tout le contraire des textes français, trop conceptuels et souvent très plates, avouons-le", s’emporte-t-il, sans perdre le sourire. Incapable de supporter Vinaver, Koltès et compagnie, le codirecteur artistique de Trans-Théâtre avance même que les Québécois gagneraient à cesser de nier leur héritage british. "Nous ne sommes pas Français! On vient d’un mélange de plusieurs cultures, et il faut l’accepter."
Après avoir signé un court métrage, Adieu Grozny, diffusé sur les ondes de Radio-Canada et de Télé-Québec, Michel Monty travaille à l’écriture d’une télésérie et d’un long métrage. Tout ça, pour le plaisir de développer d’autres outils de narration, dit-il. "Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de raconter des histoires qui font le pont entre l’individu et la société. C’est ce qui guide mes choix. Je suis absolument incapable de mener à terme un projet qui ne me passionne pas!", reconnaît cet habitué de La Licorne (où il a mis en scène Antarktikos et La Société des loisirs) qui aimerait bien travailler ailleurs, aussi. "Mais je ne sollicite jamais le travail. Je m’en crée moi-même, en écrivant."
Ceci dit, ce père de deux fillettes assure ne rien avoir contre les théâtres institutionnels, ni les oeuvres de répertoire. Quoique… "C’est certain qu’un texte de François Archambault, d’Yvan Bienvenue ou de Gregory Burke est toujours 10 fois plus important qu’une oeuvre de répertoire. Et cela, même si, pour un metteur en scène, le répertoire est plus valorisant parce qu’il permet de s’éclater davantage. Lors de la création de pièces réalistes, notre rôle est surtout de nous effacer, de donner accès au texte. Même si cela flatterait mon ego d’offrir une relecture flyée, je préfère encore la création parce que le théâtre, c’est avant tout un art moderne, vivant."
Du 7 octobre au 15 novembre
Au Théâtre La Licorne