Vernissage – Entrevue avec Luc Roberge : Ancrés dans le moule
Scène

Vernissage – Entrevue avec Luc Roberge : Ancrés dans le moule

Véra et Michael font un vernissage. Leur ami Ferdinand est invité à venir contempler leur bonheur intégral: un bel appartement décoré avec goût de trouvailles antiques, un fils extraordinaire, une vie maritale et sexuelle exaltée pour cette ménagère parfaite et ce travailleur heureux. Il ne leur manque rien, à part peut-être un témoin de leur félicité.

Vernissage

, c’est une pièce de Vaclav Havel que le metteur en scène Luc Roberge et ses complices du Théâtre du Lieu font rouler depuis plus de deux ans. Conformément à la mission particulière de la compagnie, l’oeuvre est jouée dans les lieux mêmes où l’action se déroule, en l’occurrence dans un appartement privé. Le spectateur y pénètre comme un intrus. Véra (Isabelle Ross) cuisine pour de vrai, Michael (Frédéric Boivin) est assis et boit son scotch en silence. Ils attendent la visite de Ferdinand (Michel Savard), à qui ils essaieront d’inculquer l’art de bien vivre. "On sent dans ce couple un malaise qui persiste. Il essaie d’appartenir au bonheur standard, à la douce dictature dans laquelle on vit", explique Luc Roberge. Cette tension se transmet facilement au spectateur, qui se sent un peu voyeur chez ces gens ordinaires. "On les présente comme un couple branché du plateau Mont-Royal, qui embarque dans les valeurs tendances", poursuit-il. Le jeune homme discourt un moment sur les relations préfabriquées, les réseaux de contacts entre célibataires. "Personnellement, on dirait que mon engrenage marche pas à la bonne vitesse!"

À deux mètres seulement du public, les comédiens doivent laisser tomber l’emphase habituellement de rigueur. Le metteur en scène parle des principes qui guident les attitudes corporelles des protagonistes. Synergologie, microdémangeaisons, clignements des yeux, petits gestes, respirations. Un Ferdinand agacé s’exprime largement par des grognements et des soupirs vis-à-vis du flot de paroles du monstre à deux têtes Véra-Michael. De près, on capte ces subtilités et le jeu se veut réaliste au possible, un peu comme au cinéma. "Ça reflète bien la critique que Vaclav Havel fait dans cette pièce. La réalité est flagrante, et c’est exactement ce qui fait qu’on a de la difficulté à cerner le fond du problème."

Le malaise mis ici au jour n’est certes pas le même que celui qui hantait la Tchécoslovaquie des années 70, mais le texte est demeuré très actuel. Luc Roberge se questionne sur ces valeurs que l’on accepte sans se poser de questions. Au fond, le discours de Véra et Michael est tout sauf subversif. "C’est vrai que c’est beau d’avoir un enfant, que c’est le fun faire l’amour, être en couple, avoir un bel appartement. Mais c’est du prémâché." Il considère aussi que l’oeuvre trouve "une belle résonance avec ce qui se passe en ce moment". Lui qui a beaucoup lu sur la pensée théâtrale et politique de Vaclav Havel, il avoue dans la foulée avoir été déçu par l’auteur, qui appuie Bush et a fait emprisonner des dissidents après son élection. Toute dimension politique est donc évacuée de sa version de Vernissage, qui se veut plutôt une satire du totalitarisme du chic et du bon genre. Car après tout, la dictature du quotidien n’épargne rien ni personne. Un drame, un appartement. Théâtre-réalité?

Les 16, 17, 18, 22, 23, 24 et 25 octobre
Au 330, rue Sainte-Hélène, app. 306
Voir calendrier Théâtre