Gagarin Way : Nouvelle Écosse
Scène

Gagarin Way : Nouvelle Écosse

Y a-t-il encore des gens pour s’étonner que l’abus de pouvoir mène certains individus aux gestes excessifs? En perte de sens, les quatre personnages de Gagarin Way nous invitent à un huis clos où l’adrénaline se marie à une langue brutale. Impossible de se décrisper: tout peut arriver d’un instant à l’autre. Bien sûr, nous rions, mais nerveusement; il s’agit d’une comédie noire. Nous restons lucides, vifs, et concernés par cette histoire.

Déséquilibrés, c’est le moins qu’on puisse dire des collègues de l’usine de Dumferline, en Écosse. Gary, qui travaille près de 50 heures par semaine à l’usine, qui fait le portier à l’hôtel les fins de semaine et parfois même du taxi, trouve dans les idées politiques modernes une façon de participer à l’amélioration du sort de l’humanité. Pour livrer son message, il élabore un plan qui implique le kidnapping d’un bonze de l’entreprise qui les embauche. Pour ça, il a besoin de Tom (diplômé en sciences politiques, il est l’agent de sécurité qui ouvrira la porte), mais surtout d’Eddie, un petit nerveux articulé (contre toute apparence, un rat de bibliothèque), intelligent mais résolument fêlé, qui est attiré, sinon possédé, par la violence.

Si Tom, dépassé par les événements, est bien interprété par Francis Poulin, qui livre sa première représentation professionnelle, Daniel Gadouas (déjà 40 ans de carrière) incarne justement Frank, un kidnappé posé, qui semble n’avoir rien à perdre. Bien qu’il avoue participer à l’arrogante injustice sociale, il est un fin observateur du spectacle de la société et possède un discours cynique, teinté de son surprenant passé chez les situationnistes. Stéphane F. Jacques, qu’on a vu à la télévision (Virginie, Freddy) et au théâtre (Stampede, Willy Protagoras enfermé dans les toilettes), joue un Gary fragile mais plein de volonté. On voit la réflexion passer dans ses yeux et faire son chemin dans les gestes, dans la tension et la vivacité qu’il tente de maintenir. Star montante du théâtre (Cornemuse, Littoral, Dom Juan) et du cinéma (Hochelaga, La Grande Séduction), David Boutin incarne magnifiquement l’inquiétant Eddie. C’est lui, l’hyperactif, qui donne le rythme à la pièce. Séduit par le suicide (en ce sens, il rejoint un peu la détermination de Frank) et toutes les formes de violence, il fait le pont entre les autres personnages et personnifie le mouvement de la pièce, la menace de basculer.

Écrite par Gregory Burke, né en 1968 dans cette ville ouvrière qu’est Dumferline, la pièce, produite par Trans-Théâtre et La Manufacture, est brillamment mise en scène par Michel Monty (Antarktikos, La Société des loisirs). Les éclairages, le décor comme les bruits de fournaise appuient ce texte pertinent, si bien traduit par Yvan Bienvenue (Contes urbains) qui ramène près de nous ce "débat d’idées [qui] s’incarne dans une langue brute" (Monty).

Jusqu’au 15 novembre
Au Théâtre La Licorne
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