Les Précieuses ridicules : Scènes accélérées
Récemment, nous apprenions que SYLVIE DRAPEAU se retirait de la deuxième production de la saison du TNM, Les Précieuses ridicules de Molière, mise en scène par l’impétueux PAUL BUISSONNEAU. À moins d’un mois de la première, MARIE-FRANCE LAMBERT acceptait de prendre la relève. Entretien avec une femme pressée.
Ce n’est pas un petit automne comme les autres pour Marie-France Lambert. Après avoir interprété avec justesse les rôles les plus divers du répertoire (d’Euripide à Feydeau, de Bajazet à Lucrèce Borgia, en passant par des créations de Jonathan Harvey et Carole Fréchette), la polyvalente comédienne se prépare à monter sur les planches dans Les Précieuses ridicules de Molière, qui prend l’affiche la semaine prochaine. "Je l’ai su le lundi soir et le mardi, j’entrais en répétition. On m’a même demandé ce que je faisais le soir même… J’étais en train de brasser ma sauce!" pouffe une Marie-France Lambert rayonnante malgré l’énorme défi de rattraper une équipe à trois semaines de la première. Équipe composée entre autres de Stéphane Breton, Valérie Blais, Pierre Collin, René Gagnon, Denys Paris et Jean Marchand. "Je me suis tout simplement mise en situation d’ouverture et j’ai tenté de garder mon calme. C’est très flatteur parce que c’est une belle confiance. Remplacer Sylvie Drapeau, ce n’est pas rien!" Et être dirigée par Buissonneau non plus.
Rappelons que Les Précieuse ridicules raconte l’histoire de deux filles de la campagne rêvant de faire partie du cercle de femmes tenant salon à Paris. Or, ces deux provinciales, contrefaisant les manières des grandes dames, traiteront avec mépris deux prétendants envoyés par le père de l’une d’elles. Elles s’amouracheront alors des valets de ces derniers, travestis en beaux esprits, et seront démasquées et ridiculisées. Avec Paul Buissonneau à la tête de cette comédie, on s’attend à la farce bien ficelée, mais on nous promet aussi une lumière particulière sur la sauvagerie des rapports de force. "C’est moins léger qu’on le pense, nous assure Marie-France Lambert, qui incarnera Magdelon. Ça verse dans le théâtre de la cruauté. Tout le monde est dur avec tout le monde dans cette pièce. Les valets aussi se retrouveront humiliés à la fin. Les deux filles ne seront pas les "poules pas de tête" indissociables qu’on a l’habitude de voir. Paul Buissonneau s’amuse à installer un rapport compétitif entre les deux et c’est une dynamique nouvelle et intéressante. Elles sont aussi très dures avec le père. On sent la Révolution française qui s’en vient dans la façon agressive de répondre des laquais. On sent qu’ils ont été maltraités toute leur vie. Claude Gai et France Arbour, qui en sont les interprètes, sont deux comédiens matures et ça donne une autre perspective, ça devient grinçant. C’est une pièce très cruelle, finalement."
On a souvent reproché à cette pièce, comme aux Femmes savantes, son côté misogyne, voire machiste, alors que Molière attaquait un mouvement de femmes qui prenaient part pour la première fois à la société grâce à ces salons. Mais la comédienne, qui a déjà interprété Armande dans l’oeuvre souvent considérée comme la suite des Précieuses ridicules, ne voit pas les choses sous cet angle. "Cathos et Magdelon représentent à mon avis autre chose que seulement des femmes. Elles représentent les gens qui sont faux, superficiels, qui prétendent être autre chose que ce qu’ils sont. Cette pièce ne parle pas des femmes, je crois, mais plutôt d’authenticité. Aujourd’hui, la préciosité serait peut-être le snobisme."
Paul Buissonneau fait donc ici une lecture personnelle de la farce du célèbre dramaturge. Il va jusqu’à ajouter un prologue et un épilogue à la pièce originale, épilogue dans lequel il rassemble des figures paternelles d’autres pièces, de Tartuffe à L’Avare, en passant par Les Fourberies de Scapin. "Il voit la pièce comme un os autour duquel il faut rajouter de la chair, continue avec enthousiasme Marie-France Lambert. Il est très libre et ça, c’est bien parce que nous, Québécois colonisés, on a toujours une petite attitude contraignante devant la comédie française, devant Molière. Mais Molière était un écrivain du peuple. Il faisait surtout du théâtre pour les gens dans la salle. C’est nous qui en avons fait une sorte de monument, alors que lui, il faisait des critiques sociales. Buissonneau nous ramène beaucoup à ça, jouer pour et avec le public. Et puis, nous recréons l’ambiance du théâtre de tréteaux. Il n’y a pas de quatrième mur et ça, j’adore…"
Relecture donc, mais aussi hommage au théâtre de l’époque et aux acteurs. Peut-être même verrons-nous quelques clins d’oeil à certains pionniers québécois dans des éléments de mise en scène. Mais la comédienne n’a pas eu le temps de regarder en long et en large les propositions de décors et de costumes. "Je me retrouve en cinquième vitesse, c’est évident. Et puis, il faut savoir se glisser avec humilité dans les souliers de la personne que l’on remplace." Défi relevé? "Je ne me sens plus décalée depuis mon premier enchaînement sans tenir mon texte, et ça, c’était… hier!", nous confie avec une fébrilité enjouée la comédienne, qui prévoyait un petit automne bien tranquille. "C’est terrorisant, oui. Mais c’est tellement une belle chose qui m’arrive…" conclue-t-elle, le regard lumineux.
Du 21 octobre au 15 novembre
Au Théâtre du Nouveau Monde