Retour sur le FIND : Pas en avant
C’est dans la saine fatigue des danseurs et le bonheur des organisateurs que se clôturait la 11e édition du Festival International de Nouvelle Danse. Pendant deux semaines, dans des salles souvent combles, auront résonné les projets les plus novateurs de la planète danse. Bilan.
Les principaux objectifs du Festival International de Nouvelle Danse de Montréal étaient, cette année, d’ouvrir le domaine de la création chorégraphique à de nouveaux types de lieux de diffusion et d’entrevoir le rapport entre corps et technologie selon une optique nouvelle. Ceci, en visant un public toujours plus élargi et en respectant évidemment le contexte multiculturel de métissage si cher au FIND depuis sa création, en 1985.
L’ensemble de ces objectifs semble avoir été atteint avec brio. Pour ne donner que quelques exemples, on n’a qu’à penser au pseudo-spectacle présenté par Boris Charmatz, dans une salle de répétition du sous-sol de la Place des Arts, ou aux performances ouvertes de Lucky Bastard, ayant eu lieu à la Société des Arts Technologiques (SAT).
La grande découverte
Cet esprit d’ouverture a eu pour effet, dans bien des cas, de nous placer devant des oeuvres aux limites plutôt floues, où le spectateur devait remettre en question les principes jadis bien établis de la représentation. D’autre part, ce ne sont pas que ces spectacles présentés dans des lieux inusités qui ont suscité ce genre de remise en question. Le meilleur exemple: ALIBI de Meg Stuart – présenté sur une scène à l’italienne – est, selon moi, la proposition la plus artistiquement pertinente qu’un chorégraphe ait faite depuis longtemps. Il s’agit d’un chef-d’oeuvre de composition réunissant tous les éléments d’une esthétique se situant à la fine pointe de l’innovation en danse: corps extrêmes, métissage, multimédia, abolition du quatrième mur, manipulation de foule, hyperréalisme, critique sociale, prise de position, dénonciation, redéfinition du corps dansant et de l’idée même de la danse… Deux heures d’une extrême intensité presque sans répit, où l’épuisement des interprètes progresse au diapason de l’épuisement du spectateur. Une expérience dont on ne ressort pas intact. Bouleversant! Après ça, le déluge… Malheureusement, le travail de certains chorégraphes allait désormais goûter un peu fade.
Les Musts… pas tous absolus
Les pièces de William Forsythe et de Marie Chouinard ont fait honneur à la mention "Must Absolu" que le FIND leur avait accolée. En effet, le chorégraphe du Ballett Frankfurt nous a offert quatre morceaux de choix tirés de son magnifique répertoire caractérisé par un style de mouvement qui sait présenter le corps scénique comme une totalité riche et explosive et dont la relation avec l’autre semble souvent être régie par un principe d’action/réaction. Aussi, la savoureuse Chorale de la chorégraphe montréalaise a été reçue comme un vent de fraîcheur. Une oeuvre traduisant, dans une esthétique qui pourrait rappeler celle des BD d’Enki Bilal, les états d’excitation liés aux plaisirs des sens. Cela, par un travail autour de l’oralité, ainsi qu’à travers une corporéité toujours aussi savamment débridée.
Par contre, on ne peut pas en dire autant de la pièce Naharin’s Virus, d’Ohad Naharin (Batsheva Dance Company), faisant également partie de cette prestigieuse catégorie. Il s’agit d’une tentative de provocation plutôt incohérente, n’ayant pas su se révéler à la hauteur du texte de Peter Handke. Certes, nous avons pu reconnaître l’amorce d’un travail gestuel de déconstruction intéressant, mais il manquait résolument un liant, une charge sous-jacente, qui aurait pu donner une raison d’être à celui-ci. Rien d’authentique n’est alors réellement dévoilé sur scène, comme le texte le laissait sous-entendre… Malgré ce qu’elle prétend, cette représentation reste trop en surface pour qu’une certaine profondeur transparaisse.
Réussites et déceptions…
L’édition 2003 du FIND aura donc apporté, comme la statistique le prévoit habituellement, quelques réussites et quelques déceptions. Parmi l’ensemble des spectacles que j’ai eu l’immense plaisir de voir, certains se sont avérés des petits trésors d’originalité. En plus, bien entendu, d’ALIBI et de la soirée solo de Meg Stuart (la perle de cette 11e édition!), nous avons pu découvrir l’humour intelligent et la précision formelle de Lia Rodrigues lors de la présentation de ses Formas Breves. Une série de miniatures faisant, à un certain moment, un habile rapprochement entre le ballet triadique (1923) et la culture techno (troisième millénaire). Une création audacieuse qui a également su utiliser la nudité afin de révéler la sémantique cachée du corps.
À l’inverse, d’autres projets dont le discours laissait entrevoir des horizons novateurs se sont révélés moins approfondis que prévu. Citons, à cet effet, 46"00"05 Projet 1 Road Chorégraphique, de Manon Oligny. Il est navrant d’y constater qu’on ne sort pas de l’image de la danseuse bien roulée et du danseur découpé au couteau. En outre, la séduction et l’aura sexuelle sont encore bien présentes dans cette pièce. Au point où l’on se demande si la chorégraphe a réellement effectué ce fameux virage annoncé. Malgré tout, c’est un début… Mais un peu trop léché pour qu’on croie aux bonnes intentions de la créatrice, qui devait normalement tenter de nous faire entrevoir le retour du "naturel" en amenant ses danseurs-athlètes au-delà du point de fatigue ultime. Or, cela ne survient pas… on sent encore trop de résistance.
Sorti de nulle part…
Finalement, nous avons également vu poindre le museau d’une toute nouvelle recherche corporelle se situant hors des sentiers battus, et qui ressemble à l’expression nécessaire d’une pulsion première à l’état brut, d’un premier chant du corps délivré des limites imposées par la conscience sociale. C’est à l’intérieur du vidéo-spectacle HÉÂTRE-ÉLÉVISION de Boris Charmatz et du film Cantique #1 de Marie Chouinard que celle-ci nous est apparue le plus clairement. Coïncidence: on retrouvait Benoît Lachambre dans ces deux créations tout à fait révélatrices. L’homme en question serait-il celui par qui surviendrait un nouveau bouger? Ce ne serait pas étonnant. Même Meg Stuart a reconnu son immense intégrité artistique en l’invitant à partager avec elle, sur scène, un duo improvisé, lors de sa soirée "work in progress". Un autre délicieux moment de cette 11e édition qui fut, dans l’ensemble, un succès.
Le bon côté d’un tel événement est qu’il nous donne, en un temps restreint, un bref aperçu de certaines tendances internationales en danse. Toutefois, il est salutaire de rester critique face à ce genre d’institution artistique, qui ne nous permet de voir qu’un aspect bien déterminé de ce qui se crée à l’échelle mondiale.