La Voix humaine : Casser la voix
Scène

La Voix humaine : Casser la voix

Pas de lit défait dans une chambre déprimante des années 30. Pas vraiment de téléphone non plus, auquel une seule s’accrocherait, presque à se pendre, pendant près d’une heure. Stéphane Saint-Jean (White Trash) a eu l’audace de tout sortir ça et de réinvestir le texte autrement. En 1999, à Montréal, Alice Ronfard avait amorcé cette voie en plaçant Sylvie Drapeau sur un îlot entouré d’eau, rejetant complètement l’appareil téléphonique, qui représentait à la création de La Voix humaine, en 1930, un symbole important de la modernité et un bouleversement dans les communications. Demeuraient dans cette adaptation les premiers pas d’une peine d’amour, mais aussi l’archétype de la femme abandonnée, alors incarnée par une grande comédienne.

Le concept proposé par le Théâtre de la Névrose! est tellement brillant qu’on s’étonne qu’il n’ait pas été exploité plus tôt: comme le choeur de la tragédie grecque, il s’agit de multiplier cette voix exclusive et de souligner l’universalité du propos. En effet, huit comédiennes et un comédien s’avancent sur scène du même souffle. Aucun ne représente un type de sentiment. Ils abordent plutôt, individuellement, chaque fluctuation du coeur et de la raison causée par la voix, absente pour le spectateur, de l’amant qui rompt. Tout le temps de la pièce est accordé à la rupture qui s’accomplit différemment chez chacun d’eux. Subtilement, l’intonation de la voix change en cours de route, mais de manière variée pour chaque interprète. La retenue n’arrive pas toujours au même moment. La blessure n’atteint pas son paroxysme aux mêmes répliques. Et les gestes; qu’en dire? Sinon que l’une porte la main au ventre pendant que l’autre l’appuie sur son front et que quelques-unes courbent le dos devant celles qui écartent les jambes comme pour accoucher de ce cauchemar. Et lui, les mains appuyées sur un genou avancé, semble attendre, fataliste, le coup d’épée au cou. Tout ça fonctionne à merveille; les mots de Cocteau résonnent de façon polysémique et nuancée, parfois mis en évidence par la répétition ou parce que dits en choeur.

Le décor de Maxime Gagné, qui rappelle un peu le modernisme poussif de la fin des années 60, est non seulement très beau, mais aussi ingénieusement utilisé. Blanc immaculé, il fait effet de repoussoir, soulignant avec les éclairages et le maquillage (très Cocteau) la transparence des fatigues liées aux peines d’amour malgré les tentatives de camouflage. Les néons, savamment disposés, qu’on entend épisodiquement, simulent la tonalité du téléphone qui revient et se perd, exposant ainsi la brouille et la distance qui prend le pas. Les costumes de Valérie Gagnon-Hamel, ne gardant du téléphone qu’un fil et un écouteur bien intégré au vêtement, illustrent bien cette personne plurielle: chacun est habillé semblablement avec quelques variantes, quelques accents. Et ils sont bons, ces comédiens, se fondant souvent, humblement, en une masse confondante, tout en sachant garder le grain qui les distingue et qui nous touche, séparément.

Jusqu’au 1er novembre
Au Théâtre La Chapelle
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