Impératif Présent : Duo pour voix obstinées
Scène

Impératif Présent : Duo pour voix obstinées

C’est avec une joie retrouvée que l’on découvre au Quat’Sous le nouveau texte de MICHEL TREMBLAY, Impératif Présent, aussi percutant que sa prémisse Le Vrai Monde?, écrite en 1987. Fidèle à ses promesses, l’auteur nous offre un texte innovateur dont la structure narrative permet aux deux acteurs, Jacques Godin et Robert Lalonde, de s’échanger les rôles de bourreau et de victime, ceci sous la direction d’André Brassard.

On retrouve ici Alex et Claude, père et fils contrariés de la pièce Le Vrai Monde?, 20 ans plus tard, dans une chambre d’hôpital où Alex, diminué, ne semble plus en mesure de comprendre ce qui l’entoure. Claude, écrivain maintenant célèbre, vient faire la toilette du père qui l’a renié, tout en entretenant du mieux qu’il peut la haine qu’il lui porte. Car voilà, la rancoeur demeure le moteur de sa vie, de son oeuvre dramaturgique. Et au seuil du pardon, il ne peut se résoudre à laisser d’autres sentiments affluer, de peur de rester devant rien, après avoir tant construit sur le ressentiment.

La pièce commence donc sur un écho du passé, alors que des flammes éclairent l’avant-scène. On se le rappelle, Le Vrai Monde?, écrite en 1987, se terminait sur un Alex brûlant le manuscrit unique de son fils page par page. Ici, on aperçoit Claude faisant la barbe à un Alex vieilli, hagard dans sa chaise roulante, le rasoir glissant sur la gorge, laissant présager toute la fragilité du nouveau rapport de force.

Ce spectacle en deux parties nous montre de prime abord un fils aveuglé par l’amertume, (Robert Lalonde, un peu éparpillé dans la peau de cet homme aigri s’enfonçant dans sa logique implacable) cherchant inlassablement à vider son coeur en parlant à cet homme qui ne peut plus entendre. Mais là où le talent de Michel Tremblay nous revient en force, c’est dans un deuxième mouvement, où le fils prend place dans la chaise roulante, dans la même indigence, face à un père (un Jacques Godin d’une justesse inouïe dans les nombreux replis de la pièce) qui peut enfin expliquer sa vision des choses, tout en reprenant la même structure de discours que Claude quelques minutes auparavant. À son tour, il aura le même besoin d’humilier ce fils responsable de ses malheurs, mais aussi les mêmes doutes, les mêmes épanchements, et surtout le même entêtement à repousser l’attendrissement face à un être sombrant dans le naufrage de la démence. Tour à tour, donc, chacun sera à la merci de l’autre, étalant sa déchéance (l’incontinence doit en être la pire part) et permettant à l’autre d’en tirer profit et d’en gérer les problèmes éthiques.

Si le texte se révèle une oeuvre remarquable par sa forme répétitive suggérant la surenchère d’animosité des protagonistes, la mise en scène d’André Brassard demeure légèrement élémentaire alors qu’on nous montre tour à tour l’eau et le feu, signifiants assez rudimentaires de l’irréconciliable. Aussi, cette double salle de bain où se situe l’action et permettant le jeu de miroir ressemble davantage à des toilettes modernes de condo qu’à celles d’un hôpital. Brassard y fait par la suite couler des filets d’eau par une douche murale, effet scénique efficace dans une allégorie de pardon, mais finalement trop long et dérangeant inutilement. Quant à la projection de dessins de ces corps noueux, elle semble un moyen maladroit de faire des changements de scène.

Toutefois, l’étrange trame sonore en filigrane de Michel Smith, accompagnant les révélations acerbes des personnages, nous surprend et nous entraîne habilement dans le marasme de la pensée de chacun. Mais il faut surtout souligner l’inventivité de Jacques Godin, qui reprend presque les deux tiers du discours de la première partie en le réinventant de façon jouissive, autant que sa virtuosité, lui qui passe du débordement d’émotion à la plaisanterie, du questionnement à la colère. Il nous démontre encore une fois qu’il est l’un des grands acteurs de notre époque, nous envoûtant même lorsque muet et immobile.

Jusqu’au 22 novembre
Au Théâtre de Quat’Sous
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