La Bibliothèque ou ma mort était mon enfance : Rats de bibliothèque
Scène

La Bibliothèque ou ma mort était mon enfance : Rats de bibliothèque

La Bibliothèque ou ma mort était mon enfance, du concepteur et metteur en scène Gilles Maheu, m’a justement fait le même effet paradoxal que produit sur moi une… bibliothèque. Un sentiment écrasant d’immensité, la relativité du savoir absolu, la froideur et la distance des lieux, l’impression de ne pas savoir par où commencer, de ne pas savoir chercher, doublée de la sensation enivrante d’avoir accès au monde entier, à toutes les émotions. Être excité, aussi, à l’idée de participer en solitaire à la réflexion collective, aux résonances intellectuelles, comme à celle d’être libre de monter dans une infinité de voyages et de dériver vers l’inconnu, vers l’autre. Avec ce spectacle présenté en reprise à l’Usine C, Gilles Maheu et Carbone 14 rendent compte du kaléidoscope qu’est ce genre d’institution et bousculent les frontières, confondent les époques, remuent les mots, les idées, le silence et la lenteur, réveillent même la violence jusqu’à ce que retombe la poussière sur les livres.

Dès le départ, c’est le magnifique décor du scénographe et sculpteur Michel Goulet (Les Chaises, qu’on peut voir rue Roy et au parc La Fontaine) qui, mis graduellement en lumière par Axel Morgenthaler, nous frappe. Plusieurs longues échelles mises en travers de la scène sortent de l’obscurité, chevauchées avec prouesse par les interprètes (efficaces, la plupart sont plus danseurs qu’acteurs) que sont Simon Alarie, Jean-François Blanchard, Katia Gagné, Ginette Morin, Sheau-Fon Lin Phénix, Georges Molnar, Chloé et Yves Simard. Peu à peu, les bibliothèques arrivent, et avec elles, les mots. Pour remplir les tablettes, il a fallu des écrivains, et d’entrée de jeu, c’est la lecture d’Écrire de Duras qu’on nous sert. Suivront les lectures des oeuvres de Canetti, Bobin, Barrico, Camus, Marquez, Tournier, Müller et Dai Sijie. Les références ne sont pas intégrées au spectacle mais figurent au programme, où brille par son absence l’écrivain québécois.

Soutenus par le réputé violoncelliste Claude Lamothe, un habitué des créations de Maheu, les textes sont lus plutôt qu’interprétés. Un parti pris appréciable, bien que déstabilisant pour le spectateur de théâtre, qui permet et force la distance avec le texte. À nous, donc, de recréer le plaisir du texte avec nos propres balises, nos propres voies de la résonance des mots. Et Lamothe, qui ponctue le tout, est tellement électrifiant qu’il nous fait regretter, en l’écoutant jouer par-dessus un extrait de The End (des Doors), qu’il ne fût pas un collègue de Morrison et de Manzarek. Sérieusement, il est très fort, et arrive à faire le pont entre les textes comme à contraster, et c’est bienvenu, avec certains passages qui imposent la retenue, ou, dans le cas des mots de Bobin, avec la molle joliesse de certaines phrases. Il aide à cerner la violence qui peut émerger des livres, ou celle qu’on leur inflige par le rejet, la censure ou la critique.

L’ensemble du spectacle est un hommage sensible et brillant aux livres et aux écrivains.


Jusqu’au 7 novembre
À l’Usine C