Les Précieuses ridicules : Les langues de Molière
Scène

Les Précieuses ridicules : Les langues de Molière

Dès notre entrée en salle, ils sont déjà sur scène, dans un décor qui pourrait être l’entrepôt du TNM. Au milieu des miroirs, des cadres, des vieilles traîneries et des chaises, "ces commodités de la conversation", une troupe s’apprête à jouer Les Précieuses ridicules, montrant la famille de Gorgibus (Pierre Collin) fraîchement arrivée de Quercy, en province, pour emménager dans un petit hôtel particulier de Paris. Gorgibus s’installe dans la grande ville dans l’espoir de marier sa fille, Magdelon (Marie-France Lambert), et sa nièce, Cathos (Valérie Blais). Celles-ci, comme on le sait, rêvent d’appartenir aux cercles mondains des salons. Mais après avoir rejeté, méprisantes, les prétendants La Grange (Jean Marchand) et Du Croisy (René Gagnon), elles se font littéralement berner par les faux galants Jodelet (Denys Paris) et Mascarille (Stéphane Breton), qui sont en fait les valets des précédents.

C’est le truculent Paul Buissonneau qui assure la mise en scène. Croyez-le ou non, ce fort en gueule qui se définit comme le plombier de la dramaturgie québécoise, le fondateur de théâtres qui fut membre des Compagnons de la chanson et qui incarnait le touchant Picolo monte, à 77 ans, son premier Molière. Peut-être parce qu’il n’affectionne pas particulièrement le dramaturge français du 17e siècle, sa façon d’aborder la pièce est assez neuve et franchement intéressante. Plutôt que de nous présenter deux naïves devant de beaux esprits, il fait ressortir de tous les personnages le côté frustré et humilié. Ils sont tous, également, ridicules. Buissonneau a aussi pris l’initiative d’ajouter un prologue et un épilogue à la célèbre pièce, mince en matière, qui pourrait être jouée en moins d’une heure. Si, malheureusement, l’épilogue empreint de désespoir détonne par rapport au climat général de la pièce, il a le mérite d’amener directement l’idée de la Révolution française, tout en laissant dans le souvenir du spectateur une impression plus réflexive. Effectivement, le ton de la pièce, s’il est léger, sous-tend autre chose que la blague luxueuse: les mécanismes de l’humiliation dominent les rapports humains et cachent à peine la frustration bouillonnante des personnages. Bref, ils subissent et font subir.

C’est connu, Molière multipliait les personnages pour faire vivre ses amis acteurs. Cette pièce ne faisant pas exception, certains comédiens ne sont pas beaucoup exploités. À peine voyons-nous Jean Marchand ou René Gagnon. Mais Valérie Blais (La Nuit des rois, Les Trois Soeurs) fait une remarquable Cathos et Marie-France Lambert (Le Langue à langue des chiens de roche), qui a remplacé à un mois d’avis Sylvie Drapeau, excelle dans cette Magdelon subtile, à la fois sarcastique et désirable. Le polyvalent Stéphane Breton (Blue Bayou, La Serva Amorosa), impressionnant, déploie toute la richesse insoupçonnée de Mascarille. Avec souplesse, il passe du chant aux mots d’esprit et, d’un simple jeu de regard, du séducteur au bouffon. À souligner aussi, la complicité manifeste entre les acteurs.

Jusqu’au 15 novembre
Au Théâtre du Nouveau Monde
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