Elizabeth Bourget : Comte à rebours
ELIZABETH BOURGET signe avec Edmond Dantès l’adaptation de la première partie du colossal roman d’Alexandre Dumas père, Le Comte de Monte-Cristo. Un défi à la mesure de son admiration pour l’auteur et son époque.
De même qu’Edmond Dantès, le héros d’Alexandre Dumas, Elizabeth Bourget défend ses convictions avec une ferveur peu commune. Fascinée par Le Comte de Monte-Cristo depuis cet été de 1995 où elle en dévora littéralement les aventures, elle signe ces jours-ci pour le Théâtre Denise-Pelletier (TDP) l’ambitieuse adaptation scénique d’un roman qu’elle considère comme "une fabuleuse machine!". Une adaptation qui semble n’avoir assurément rien à envier à celles qui l’ont précédée. Attablée dans ce café dont elle est une habituée, voilà l’auteure de théâtre et ancienne pédagogue lancée, avant même qu’une question ne lui soit posée, dans une tirade sur les antécédents d’Edmond Dantès, un personnage qui a fait longtemps partie de son quotidien et qu’elle semble, aujourd’hui plus que jamais, prête à défendre. "Le Comte de Monte-Cristo, c’est l’histoire d’une vengeance, mais d’où vient-elle, cette vengeance? Sans vouloir la cautionner ou la désapprouver, il faut tout de même la mettre en perspective, prendre le temps d’en expliquer les véritables motifs."
Le destin d’Edmond Dantès, ce jeune marin victime de la trahison de trois hommes qu’il croyait ses amis, arrêté le jour de ses noces puis emprisonné durant 14 ans pour un crime qu’il n’a pas commis, a mené Elizabeth Bourget à se renseigner sur la manière dont le théâtre était pratiqué en France à la fin du 19e siècle. Ses lectures lui apprirent que Dumas avait été propriétaire d’un théâtre situé sur le boulevard du Temple à Paris, celui-là même que Marcel Carné immortalisa dans Les Enfants du paradis, et qu’il y prônait un art populaire. "Je partage le désir qu’avait Dumas de voir représentées chez les spectateurs toutes les couches de la société, c’est pour cette raison que je fais encore du théâtre aujourd’hui." Alors, elle imagina la convention qui affirmerait la théâtralité du spectacle et servirait de point de départ à son adaptation: elle écrirait pour une troupe d’aujourd’hui désirant jouer Le Comte de Monte-Cristo à la manière des acteurs de l’époque.
Bien que les spectacles du TDP soient le plus souvent destinés à un public adolescent, Elizabeth Bourget prétend ne pas avoir travaillé en s’adressant à des spectateurs d’un âge précis. "Je souhaite avant tout transmettre aux jeunes le plaisir du jeu théâtral. Je n’ai pas essayé de filtrer cette histoire ou de la rapprocher d’eux; j’ai fait confiance au récit de Dumas et simplement essayé d’en faire du théâtre. Malgré tout, le complot dont Dantès est victime devrait être significatif pour eux. Cette façon d’envier le bonheur de l’autre et de vouloir à tout prix accéder au pouvoir n’est pas une réalité étrangère à notre époque, loin de là. Je pense entre autres au taxage et aux conspirations qui sévissent dans les écoles."
Récrire l’histoire
L¹auteure, qui n’avait jamais ressenti auparavant le désir d’adapter un roman à la scène, s’est engagée sans hésiter dans cette courageuse entreprise. "Quelle prétention de m’être lancée dans cette aventure… Je crois que j’ai été un peu inconsciente au fond." Constatant rapidement qu’un seul spectacle ne saurait rendre justice à cet énorme roman, elle se voit contrainte d’en faire deux pièces. La première, prenant l’affiche sous peu, couvre les événements qui précèdent ce moment crucial où Edmond Dantès renonce à son identité; alors que la seconde, dont la rédaction fut achevée l’été dernier, illustre la vengeance de celui qui se fait dorénavant appeler le comte de Monte-Cristo. Elizabeth Bourget croit avoir relevé les nombreux défis posés par cette adaptation. Si certains épisodes ont été imaginés et des personnages, enrichis, d’inévitables suppressions draconiennes ont imposé des sacrifices. C’est le personnage principal qui semble avoir le mieux guidé son travail. "Comme l’histoire d’Edmond Dantès s’achève en 1838 et que le roman a été publié en 1844, on peut presque parler d’une littérature contemporaine. Pour traduire fidèlement ce récit particulièrement intime de la part d’un auteur réputé pour ses romans historiques, je me devais de ne conserver que ce qui servait le parcours du personnage, ce qui lui était essentiel." Voilà encore une marque de cette loyauté que l’auteure partage avec l’illustre personnage qu’elle a porté à la scène.
Du 7 au 29 novembre
Au Théâtre Denise-Pelletier