La Voix du sang : La détresse et l'enchantement
Scène

La Voix du sang : La détresse et l’enchantement

Notez bien, c’est un petit bijou qui se cache au deuxième étage du Théâtre d’Aujourd’hui. La Salle Jean-Claude-Germain, qui a la réputation de révéler parfois des bulles de bonheur théâtral, présente La Voix du sang, texte et mise en scène de Marc St-Pierre. À l’ère des méga-productions souvent sans âme, voici une création toute en simplicité mais surtout en efficacité, menant jusqu’au ravissement. L’histoire somme toute banale relate le rendez-vous raté de Gilbert avec sa mère biologique, enfuie on ne sait où, laissant à la réception du motel son fils André, un jeune simple d’esprit. Les deux hommes se reconnaîtront à travers l’inquiétude et le déséquilibre qu’entraîne la disparition de la figure maternelle.

Outre le fait que le texte soit parsemé de répliques jouissives, René Arbour et Sylvain Pesant transforment la pièce en pur moment de grâce, alors qu’on les suit partout où ils veulent bien nous entraîner, que ce soit dans une chambre d’hôtel ou dans le bois, dans les rires ou les larmes. Pesant interprète avec une sincérité froide ce fonctionnaire ébranlé demeurant rigoureusement distant face aux êtres humains. Alors que le personnage parfois méchant et brusque pourrait nous repousser de prime abord, le comédien réussit étrangement à le rendre attachant sans tomber dans le piège de la pitié. Arbour, quant à lui, interprète avec beaucoup de justesse ce frère légèrement autiste, véritable tour de force quand on sait les possibles dérapages d’un rôle demandant un tel travail sur la folie. Les deux acteurs jouent ici avec une complicité et un plaisir évidents, mais surtout avec une humble sincérité. Ils réussissent même à faire oublier la trop rapide progression de l’histoire, qui pourrait paraître incongrue. On est prêt à croire à tout, tant ils y croient devant nous. Même à l’arrivée probable de la mère disparue, alors qu’on sait très bien qu’il n’y a pas de comédienne pour l’interpréter. Et jusqu’au bout, on l’attend.

L’efficace mise en scène de l’auteur reste habilement au service de ce duel d’acteurs alors que le souci du rythme contribue à l’enchantement général. De plus, tout élément de décor (Stéphane Proulx), extrait sonore (Éric Bouchard) ou éclairage (François Pilote) vient habilement soutenir la performance des comédiens sans jamais la reléguer au deuxième plan. Jamais plus de trois éléments de décor à la fois sur cette petite scène brillamment habitée par tous les concepteurs. Pour illustrer une chambre, un simple fauteuil et une télécommande. Une bande-son fera habilement écho aux changements de poste effectués par l’acteur. Pour illustrer un bois, un petit banc, derrière lequel sont tapis les acteurs en habit de camouflage, alors que la bande-son nous situe discrètement. Et pourtant, malgré ce décor basé sur l’évocation plutôt que sur un souci de réalisme, jamais on ne remarque la technique. On est assis avec les canards, on s’est introduit dans la chambre interdite. On découvre avec joie de nouveaux Vladimir et Estragon. Le théâtre n’existe plus. Ne reste que la beauté.

Jusqu’au 15 novembre
Au Théâtre d’Aujourd’hui

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