Marcel Dubé : Jeunesse d’aujourd’hui
Cinquante ans après sa création au Théâtre des Compagnons de Saint-Laurent, Zone, la célèbre pièce de MARCEL DUBÉ, revit sur les planches de la Salle Fred-Barry. Rencontre avec un auteur qui a porté sur scène, comme à la télévision ou à la radio, les tribulations de la société québécoise, de sa jeunesse tourmentée à sa bourgeoisie gangrenée.
Il a coloré les dimanches soirs des baby-boomers, ému leurs parents, a été au programme de français de la génération X et sa pièce Zone est toujours montée, année après année, pour les ados Nintendo. Marcel Dubé, auteur controversé dans les années 70 pour avoir défendu un niveau de langue soutenu, reste encore et toujours une référence dans le milieu théâtral québécois d’aujourd’hui. On lui doit des personnages devenus des archétypes de notre dramaturgie, que l’on pense à Joseph d’Un simple soldat, à Florence de la pièce éponyme ou encore à William Larose de Bilan.
Ces jours-ci, pour fêter les 50 ans d’écriture de Marcel Dubé, les productions Kléos présentent Zone, dans une mise en scène de Mario Borges. Rappelons que Zone, la première pièce professionnelle de l’auteur, avait fait un tabac dès sa création en 1952, raflant presque tous les prix tant au Festival d’art dramatique de Montréal qu’à celui de Victoria, où elle avait été invitée.
Zone, c’est l’éternelle confrontation entre les jeunes et le monde des adultes. Cinq adolescents faisant de la contrebande de cigarettes américaines auront des démêlés avec la justice après que l’un d’eux, Tarzan, eut tué un douanier. Mais au-delà de l’anecdote, c’est de la prise de parole des jeunes qu’il est question, de la création d’une zone, d’un lieu bien à eux. Les jeunes inventés par Dubé dans les années 50 restent étonnamment semblables à ceux que l’on retrouve dans nos écoles, en marge, et se définissant dans des rapports de pouvoir. "La jeunesse, qu’on le veuille ou non, est marginale tant qu’elle n’est pas devenue adulte", soutient l’auteur, qui ne s’étonne pas de la constante actualité de sa pièce. "Marginale, non dans un sens pessimiste, mais dans le sens où elle a des droits sans avoir d’obligations ni de responsabilités. Cela dit, je crois qu’il est encore plus difficile d’être jeune aujourd’hui."
L’auteur, qui parlait à l’époque d’une jeunesse cherchant un lieu où s’exprimer, s’insurge contre une société qui, sous le couvert d’une facilité technique de communication, offre peu de soutien à ses jeunes. "La société a beaucoup changé. De façon générale, les parents ne prennent plus les responsabilités qu’ils prenaient autrefois. La vie familiale a été totalement bouleversée. Au point de vue religieux aussi, tout a été bousculé, transformé, pour le meilleur ou pour le pire, dirons-nous. Il y a aussi une exploitation éhontée de la jeunesse par certains adultes, dans le monde de la drogue, par exemple. Puis il y a ces enfants qui taxent d’autres enfants. Ça n’existait pas, ça. On aimait l’école parce qu’on y jouait en groupes. Peut-être que si j’avais à retoucher Zone, les personnages adolescents y seraient encore plus durs entre eux."
L’envers du décor
Marcel Dubé faisait encore partie de cette jeunesse marginale quand, à 22 ans, il devint auteur dramatique professionnel, sa carrière étant propulsée par le succès de Zone mais également par l’avènement de la télévision. "À l’époque, on m’a demandé le droit de faire une expérience en studio d’une première dramatique en circuit fermé à Radio-Canada. Le réseau n’était même pas encore distribué, ajoute Marcel Dubé, amusé. Puis on a commencé à me demander d’autres choses pour la télé, que j’écrivais en même temps que du théâtre. Ce qui est bien, c’est que j’ai ouvert trois portes en même temps: celles de la radio, de la télévision et du théâtre."
L’auteur, qui travaille à la réédition d’un recueil de poésie paru en 1974, confie qu’il y a des différences nettes entre tous les styles d’écriture qu’il a empruntés. "Le théâtre était un médium où la censure n’existait pratiquement pas. À la différence de la télévision. Dans les années 60, par exemple, j’avais créé dans un téléroman un personnage indépendantiste qu’il a fallu que je supprime. Alors qu’au théâtre, on pouvait retrouver une longue tirade politique engagée, par exemple dans Les Beaux Dimanches. Quant à l’écriture de nouvelles ou de romans, c’est très difficile pour moi parce que je suis habitué à écrire sous des contraintes techniques, en pensant aux décors, par exemple. La liberté que m’offre l’écriture romanesque ne m’est pas familière."
Le milieu théâtral a-t-il beaucoup changé en 50 ans? "La différence que je vois, c’est que les metteurs en scène de mon époque accordaient énormément d’importance au texte. Tous les éléments du spectacle devaient rendre justice à l’oeuvre écrite. Aujourd’hui, c’est le panache du décor, qu’on appelle scénographie, qui prend toute la place. On voit souvent de très bons acteurs servant le texte, mais perdus dans un décor immense. On voit même parfois des choses carrément à l’encontre de la logique, comme un narrateur placé à l’extrême opposé du public, par exemple." L’auteur, qui n’a jamais voulu faire de mise en scène alors qu’il a longtemps mis la main à la pâte en ce qui concerne les décors et costumes, déplore également la mort des télé-théâtres. "La mort du télé-théâtre est regrettable, parce qu’il aurait pu être un tremplin pour les jeunes auteurs. Pour les vieux aussi! Je ne retoucherais pas au théâtre parce que l’auteur se fait maintenant avaler par tout le reste. Mais s’il y avait une ouverture pour un télé-théâtre, je me rembarquerais!"
En attendant une heureuse initiative de notre télévision nationale, nous pourrons retrouver Tarzan et Ciboulette à la Salle Fred-Barry, en compagnie de Luc Chapdelaine, Marie-Anne Alepin, Martin Fréchette, Jean-Dominic Leduc, Martin Gendron, Sylvain Castonguay, Jacques Rossi et Antoine Vézina.
Jusqu’au 10 décembre
Au Théâtre Denise-Pelletier
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