Jean-Louis Roux : Tenir boutique
C’est avec une fable sur le genre humain que le Théâtre du Rideau Vert poursuit sa 55e saison. Véritable conte de Noël situé dans le Budapest de l’entre-deux-guerres, La Boutique au coin de la rue met en scène le quotidien des six employés d’une petite librairie. À leur tête, le comédien chevronné JEAN-LOUIS ROUX, toujours passionné par son art après plus de 60 ans de métier.
Retiré dans une alcôve feutrée du Rideau Vert, Jean-Louis Roux confie avoir été enthousiasmé, dès la première lecture, par les personnages tout en nuances de La Boutique au coin de la rue. Voilà qui explique pourquoi il prête ces jours-ci son corps et sa voix à Matutschek, le directeur bienveillant et soucieux d’une librairie hongroise des années 30. Les Français Pierre-Olivier Scotto et Martine Feldmann assurent la mise en scène de cette adaptation (signée Évelyne Fallot et Jean-Jacques Zilbermann) du populaire film d’Ernst Lubitsch The Shop Around the Corner, une production hollywoodienne des années 40 dont le scénario avait lui-même été inspiré au grand cinéaste américain d’origine allemande par La Parfumerie, une pièce écrite au début du siècle par le Hongrois Miklos Laszlo.
Seul maître à bord, le patron autoritaire et bougon incarné par Jean-Louis Roux inspire crainte et admiration aux six employés qu’il dirige. Patriarche tiraillé entre le bonheur de ses "enfants" et la rentabilité de son entreprise, ses décisions vont avoir d’importantes répercussions sur le fragile équilibre de la petite boutique. "Matutschek est capable d’autant d’injustice que de générosité. J’ai de l’empathie pour lui, parce qu’il évolue tout au long de la pièce, devient plus humain et compatissant de scène en scène."
Jean-Louis Roux a volontairement refusé de visionner le film de Lubitsch. "J’évite de voir les versions cinématographiques, de peur que cela ne m’influence, en bien ou en mal d’ailleurs. Je préfère commencer à zéro pour construire un personnage." L’acteur prend beaucoup de plaisir à partager la scène avec de plus jeunes. Au fil des répétitions et de la trentaine de représentations qui ont été données de La Boutique au coin de la rue au Théâtre de la Dame Blanche à Beauport, l’été dernier, une camaraderie remarquable s’est développée. Un esprit d’équipe sûrement très utile pour interpréter une pièce qui met l’accent sur les rapports humains. "À l’instar des acteurs qui se côtoient chaque jour, les employés de cette petite entreprise sont très liés. Comme dans une famille, ils sont soumis à des rejets et à des alliances."
Fontaine de Jouvence
Le passage des années, loin de le ralentir, semble offrir à l’octogénaire une surprenante vivacité. "Je crois qu’il faut faire preuve d’une constante ouverture d’esprit dans ce métier. S’interdire certaines avenues, c’est refermer soi-même les portes." En plus de 60 ans de carrière, Jean-Louis Roux s’est mesuré, au théâtre, au cinéma et à la télévision, à plus de 200 rôles. Il a participé à la fondation et au développement de certaines de nos plus importantes institutions et associations théâtrales. Lorsqu’on l’oblige à se pencher sur ce qu’il a accompli jusqu’ici, l’homme tire un heureux bilan de ces multiples implications artistiques et politiques. "Il y a évidemment des réalisations moins réussies que d’autres, certaines ont même été des fiascos. Pourtant, de façon générale, je conserve un souvenir positif de toutes ces années. Mon seul regret est de n’être pas parvenu à augmenter le public au théâtre, demeuré, en nombre, ce qu’il était dans les années 60. Je pense qu’il faut encore travailler à créer chez nous une tradition artistique en communiquant, du primaire à l’universitaire, le plaisir presque charnel qu’il y a à recevoir une oeuvre d’art."
Que peut-on souhaiter aujourd’hui à cet auteur et témoin privilégié des plus belles pages de l’histoire du théâtre au Québec? "Il y a des personnages que j’aimerais jouer et qui ne se sont pas encore présentés. Le cinéma est un art dont la sobriété m’attire aussi beaucoup. J’aimerais en faire davantage, avec des réalisateurs qui savent diriger les acteurs et en qui je pourrais mettre toute ma confiance. Il y a aussi cette autobiographie commencée en 1997 et à laquelle je devrais donner suite. J’ai besoin de ressentir la nécessité des projets que j’entreprends. C’est cette même urgence que me communique toujours l’arrivée imminente d’un soir de première."
Jusqu’au 6 décembre
Au Théâtre du Rideau Vert
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