Oedipe à Colone : Critique: Oedipe à Colone
Jusqu’au 29 novembre
Au Grand Théâtre
Devant Oedipe à Colone, on ne peut s’empêcher d’être par moments saisi d’un bref vertige en pensant qu’il s’agit de la dernière mise en scène du grand Ronfard. Sa proposition est lumineuse, et aussi, a-t-on l’impression, bienveillante. Avec ce spectacle, il nous semble voir le visage amical de la tragédie; comme si on nous proposait ce texte grave avec un sourire.
Ce sourire apparaît d’abord dans quelques ajouts faits au texte de Sophocle, écrits par Ronfard lui-même. En ouverture, lumières de la salle toujours allumées, un prologue, présentant brièvement le mythe, nous permet d’entrer facilement dans la pièce. Puis, pendant un discours assez sombre du choeur sur la vie et ses vicissitudes, intervention pour, au contraire, la célébrer, et redire combien chaque moment est précieux.
Ces interventions, chaque fois, sont présentées avec chaleur par Jack Robitaille, en costume mais s’adressant directement au public. On comprend alors que ce qui est en jeu ici, c’est notre humanité commune: celle des artistes et du public, mais aussi celle de cet auteur lointain. Ce procédé nous redit aussi, idée chère à Ronfard, "on est au théâtre", dimension soulignée également par des rampes de projecteurs à vue sur le plateau, et par des bandes de texte en grec insérées dans le décor.
Oedipe à Colone est la pièce de l’apaisement. Après quelques derniers tumultes, le personnage trouve le repos, et voit sa vie malheureuse un peu rachetée. L’histoire nous est présentée, dans la traduction de Marie Cardinal, dans une langue belle et limpide, magnifiquement rendue par certains comédiens. À commencer par Albert Millaire qui, les yeux bandés pour jouer le personnage aveugle, défend Oedipe avec grande énergie. Sans ses yeux, sa voix, son corps et, en particulier, ses mains jouent de façon puissante et nuancée. Pas hésitants, mouvements mal assurés: Oedipe, qui fut un grand roi, n’est plus ici, sous les traits du comédien, qu’un vieillard démuni, mélange d’humilité, de vulnérabilité mais aussi, de force intérieure toujours présente. À ses côtés, interprétation en général très juste, dont celles de Gabriel Gascon, très assuré en Créon, et d’Édith Paquet, touchante Ismène.
La scénographie d’André Acquart, très épurée, les très beaux éclairages de Guy Simard et les effets sonores un peu mystérieux (Stéphane Caron) confèrent à la pièce une dimension aérienne, intemporelle, laissant toute la place au texte et au jeu. La mise en scène de Jean-Pierre Ronfard ne tente pas de gommer ce qui nous sépare de la tragédie grecque. Mais l’ensemble de la production, et son éclairage du texte, souligne aussi ce qui nous lie à elle: un regard attentif à la beauté de la vie, et plein de compassion pour ce que nous sommes, toujours pareils à nos lointains cousins d’il y a 24 siècles.