Paul Buissonneau : Alchimie du verbe
Si le septuagénaire PAUL BUISSONNEAU n’a rien perdu de sa légendaire vitalité, la grande humilité qu’il dégage impressionne encore davantage. Plus que jamais habité par le désir de donner le théâtre au public, le metteur en scène, dont Les Précieuses ridicules sont actuellement à l’affiche au TNM, ne peut que se réjouir de savoir son Cabaret des mots repris ces jours-ci à l’Espace Go.
Comment s’est produite la rencontre avec l’oeuvre de Jean Tardieu?
"Je le connaissais assez peu avant que Danièle Panneton ne me donne à lire les pages qu’elle avait sélectionnées dans cette oeuvre dont elle était depuis longtemps amoureuse. Je partais en France à cette époque et c’est là-bas, chez un ami, que le coup de foudre s’est produit. Complètement euphorique, dans un vieux caveau en pierre, sur une table de 12 pieds, j’ai découpé pendant des nuits entières, parfois même directement dans des bouquins que j’avais achetés sur place, des passages du théâtre, de la poésie et de la prose de Tardieu. J’ai eu beaucoup de plaisir à réaliser un collage qui, à ma grande surprise, a été accepté par l’équipe de Go dès la première lecture."
Qu’est-ce qui a orienté vos choix?
"J’ai vite compris qu’il fallait donner la parole à la société complètement déjantée dont Tardieu fait le portrait. Je me suis laissé guider par son ton à la fois grave et léger. Il n’y avait pas de choix possible entre ces deux pôles. J’en ai marre d’ailleurs de cette façon de séparer continuellement le comique du tragique. La vie, ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est un incontournable amalgame des deux. Tout comme les personnages de Tardieu glissent du futile à l’existentiel, je vis chaque jour des instants de pur bonheur immédiatement suivis de moments totalement merdiques."
Comment s’est déroulé le travail?
"Je n’arrive jamais en répétition avec des idées toutes faites en provenance de mon bureau. Vous savez, si je viens tout juste de monter mon premier Molière, c’est que je n’appartiens pas à ces metteurs en scène qui veulent à tout prix monter Claudel ou Shakespeare. Je suis plutôt approché par des gens qui m’imaginent quelque part et, si le courant passe entre la pièce et moi, je réponds volontiers à leur invitation. Pour Cabaret des mots, je voulais avant tout que l’environnement visuel issu des peintures de Rebeyrolle dialogue avec le reste, je ne voulais surtout pas qu’il se contente d’accompagner ou, pire, qu’il redouble ce que les mots disaient déjà. La plupart des éléments du spectacle (le chant, la musique, la danse, le mime) se sont imposés à moi par le biais des personnages. On oublie souvent que les personnages sont les meilleurs guides. La pièce, c’est juste un véhicule, une machine, ce sont les personnages qui traversent les époques."
Quels rapports entretenez-vous avec les acteurs?
"Je suis extrêmement redevable à leur virtuosité. Je me fie énormément à eux. J’ai beau avoir une direction de mise en scène, une voie à emprunter, ce sont les acteurs, en répétition, qui me donnent la plus grande partie de ce qui va constituer le spectacle par la suite. Au théâtre, il faut que tout soit bon, sinon, aussi bien rester chez soi. Tous les rôles, jusqu’au plus petit, doivent être magnifiquement servis, parce qu’ils sont aussi importants que les autres. Je dois dire que j’ai une distribution formidable pour Cabaret des mots. Il s’agit d’une palette d’acteurs très équilibrée, chacun excellant dans ce qu’il a à faire. Pierre Chagnon, par exemple, m’a inventé un proviseur absolument monstrueux que je n’aurais jamais pu imaginer moi-même. Vous savez, je ne crois pas à la création collective; si ça marchait, on en ferait encore. Par contre, quand j’observe Élisabeth Chouvalidzé donner à son personnage des gestes et des nuances que je n’aurais jamais pu lui proposer, je comprends le véritable sens du terme
Avez-vous retouché le spectacle à l’occasion de cette reprise?
"Je n’ai pas eu besoin de changer quoi que ce soit. Le spectacle est terminé et assumé. Les acteurs le disent eux-mêmes: on l’a fait! Je ne crois pas au work in progress. Le soir de la première, tout doit être là, sinon ce n’est pas professionnel, c’est du bricolage. Quand nous nous sommes retrouvés, un an plus tard, le rythme est revenu tout de suite, ça s’est fait tout seul, comme si ça ne s’était jamais arrêté. Je pense que les acteurs aiment profondément le spectacle et que c’est ce qui explique que leurs corps et leurs coeurs n’en avaient rien oublié."
Jusqu’au 6 décembre
À l’Espace Go
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