Everybody’s Welles : Personnalité multiple
Du théâtre documentaire? Peut-être est-ce la bonne expression pour décrire cette pièce créée à partir du personnage d’Orson Welles. Je dis "peut-être" car ça ne peut être tout à fait ça. Le spectacle, monté comme une conférence, nage trop entre le réel et l’inventé pour ne pas mettre continuellement le spectateur dans le doute et lui rappeler ainsi qu’il est bel et bien en face d’un objet théâtral, une création dans la création.
Patrice Dubois (Brèves de comptoir, Here Lies Henri), l’acteur qui a écrit le texte avec la complicité de Martin Labrecque (conception d’éclairages pour Les Feluettes, L’Habilleur) et qui en assure la mise en scène, avance beaucoup de faits réels dans ce spectacle. Une liste de repères biographiques et filmographiques publiée dans le programme nous aide à situer le personnage, son oeuvre, et l’impact qu’ils ont eu sur le siècle et les créateurs de différentes disciplines, mais surtout dans les branches du cinéma. N’en déplaise aux mordus de la sacro-sainte vérité, Welles (1915-1985), qui a grandi dans les années de gloire de la radio, qui a apporté considérablement au théâtre comme il a bouleversé le cinéma, a évolué avec l’avènement de la télévision et a su rapidement et avant presque tout le monde utiliser les médias comme la rumeur pour nous amener où il le voulait. Que la pièce Everybody’s Welles puise dans le potinage autant que dans les faits pour broder à travers Welles l’histoire d’un conférencier littéralement obnubilé par son sujet fait de cette création un moment de théâtre très fidèle à l’esprit de Welles.
La petite équipe répond à un autre critère de la manière Welles en abordant l’aspect scénique de façon assez novatrice. Le tableau noir derrière la scène s’illumine souvent afin d’illustrer les propos du conférencier. On y voit un clone de Dick Rivers chanter une ballade western témoignant de l’effet de Welles sur les habitants du Wisconsin (moment loufoque des plus appréciés même si la chanson colle à la mémoire pendant plusieurs jours), ou encore on assiste à une danse africaine enlevante qui nous rappelle que Welles, en citoyen du monde, aurait monté un Macbeth vaudou. Derrière la vitre, Stéphane Franche (Le Cadeau d’Isaac) joue l’ombre ou le rêve, et sans jamais dévoiler son visage, arrive presque à nous faire croire à une projection préenregistrée montrant Dubois sous un autre angle. Ce concept scénique illustre bien l’inventivité de Labrecque sur le plan des éclairages, permettant au personnage de se livrer à un jeu de miroir inquiétant avec son sujet. Touchant, le conférencier se projette réellement dans Welles qu’il admire, jalouse et envie. La moindre coïncidence devient un signe. Et c’est parfois plus ce personnage que l’on suit que la matière Welles. Cet homme vivant par procuration nous ramène à l’intimité et à quelque chose de plus humain que le surhomme Orson, qui pourtant, nous dit-on, aurait joué dans "125 mauvais films".
À voir, pour apprendre et pour douter.
Jusqu’au 29 novembre
À l’Espace Go
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